Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Enfouis dans le sable ses pieds se retirent. Fuient, fouillent et creusent.

Se replient devant la vague d’émotions interdites soulevée par la question. 

 

« Gars, c’est comment ? »

 

Enfouis dans le sable ses pieds refusent

D’entendre la question, d’entendre la réponse. Quelle réponse même ?

 

Ces pieds larges et costauds

Dont la peau noire dessus et la peau blanche dessous

Tracent une ligne sinueuse, une frontière sur une carte indicible.

Dessus la marque de morsure d’un serpent qui manqua causer la fin de ses pas.

Dessous les brûlures, écorchures, blessures de cette marche infernale 

A travers les jours et les larmes, du Sud vers le Nord. Infernale.

Du giron rassurant, du giron étouffant de son pays ventre

Aux engelures anguleuses d’une table métallique et des pieds de ses chaises

Au fond d’un taudis frigorifique. Encore y a-t-il une table…

Du Sud vers le Nord, les étapes, les rackets, les bagarres,

La famine, les refoulements, les campements.

Les rochers pour bivouac, les scorpions, la prison.

Ces pieds, ces pieds larges et potelés

Comme les pieds d’un bébé, comme les pieds d’un enfant,

Comme les pieds d’un poème écrit par hasard

Sous la lune d’un comptoir, par un poète allumé.

 

Ses pieds sous le sable creusent encore et fuient sa mémoire

Que la question voudrait fouiller. Interdit. 

Sous peine de désintégration de révéler que le cœur est brisé, que le corps fait semblant,

Que la tête s’est perdue depuis from dans une rue sans amis dans les vapeurs d’alcool.

 

Orteils rétractés retrouvent gestes des animaux traqués :

Creuser, creuser encore pour disparaître aux yeux prédateurs.

 

Enfouis dans le sable, ses pieds seuls témoignent d’un reliquat de vie.

Au sommet, le crâne s’est vidé, le sang a quitté le visage,

Discrètement, sous sa peau sombre qui ternit comme ternissent les étoiles de son regard

Tandis que raidissent ses mâchoires.

La poitrine se bloque, l’estomac se blinde, les intestins se tapissent contre les os

Qui ne peuvent rien sinon se briser, le briser, s’écrouler.

Mains et cuisses tétanisées, 

Epaules et genoux figés à en faire mal s’il pouvait encore sentir quelque chose,

Figés à en crier si sa voix n’était serrée en boule dans sa gorge 

Où seul un fil d’air parvient encore à se glisser.

 

Ses pieds sous le sable cachés sont chargés de creuser

Pour que ce corps pétrifiés, crâne vidé, échappe aux fantômes des souvenirs 

Que réveille la question.

Valeureux soldats en mission, aguerris par la longue et brûlante et dévorante

Marche. Marche. Marche.

Ses pieds sous le sable se terrent et se taisent, à l’affût, aux abois.

 

La langue veut parler, la langue va parler. Pour en finir. Au plus court, au plus bref.

Taire les plaies, les fractures, les trahisons, la peur, l’angoisse, 

Les folies meurtrières et les coups des geôliers, 

Les rêves écrasés, les amis déchiquetés, les infamies, les souillures, et le cœur morcelé.

Le cerveau incapable d’y penser.

 

- Gars, c’est comment ?

- Je suis là.