Note utilisateur: 5 / 5

Etoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles actives
 

 

Péché mortel

Le plancher craque et sent bon, chaque vendredi, et à tour de rôle, nous cirons avec ardeur les lames de ce beau parquet couleur miel. Les tâches sont distribuées chaque semaine, monter le charbon pour alimenter le fourneau, faire briller les pupitres, ramasser les feuilles mortes et surtout ratisser le sable dans la cour en prenant soin de faire de beaux motifs. Mais la tâche réservée à quelques élues, aux élèves particulièrement méritantes, c’est le remplissage des encriers, c’est un travail délicat et l’odeur de l’encre nous fait légèrement tourner la tête.

Le matin tout comme l’après-midi, la classe commence invariablement par les prières, un « Notre Père » et dix « Je vous salue Marie ». Nous fermons les yeux et récitons les prières consciencieusement, mécaniquement comme hypnotisées par cette litanie.

Au mois de mai, nous arrivons beaucoup plus tôt à l’école pour assister à la première messe du matin en l’honneur de Marie. Bien sûr nous devons être à jeun pour pouvoir communier, après la célébration nous prenons le petit déjeuner à l’école, c’est un moment léger et joyeux.

C’est une classe à plusieurs niveaux, quatre ou cinq, les plus grands aident les plus petits, leur expliquent les leçons, les aident à finir leurs assiettes au réfectoire.

Sœur St-Jean est notre enseignante, nous l’appelons « Ma Mère », elle fait partie de la congrégation des Petites Sœurs de l’Enfant Jésus. Avec sa longue robe blanche et son voile qui enserre totalement son visage, elle est sans âge, elle fait régner une discipline de fer, je la crains.

Me voici devant la carte géographique de la France, des points pour les villes, des lignes pour les rivières et les fleuves, je dois retrouver et noter ces noms sur la carte. La Garonne, où se trouve la Garonne ? J’ai pourtant appris ma leçon, mais c’est le blanc, impossible de placer le fleuve sur la carte. Et là, je commets un péché d’une extrême gravité, je glisse un œil sur la feuille de ma voisine, je complète ma carte. Une fois les copies rendues, je suis prise de remords et d’angoisse, je me sens dévastée, c’est sûr, j’irai tout droit en enfer !

A la fin de la classe, tremblante et pitoyable, j’avoue mon immense faute à Sœur St-Jean. Elle ne dit rien, je me sens liquéfiée !

Quand elle remet les copies quelques jours plus tard, ma note est de 20 sur 20. Elle m’a pardonné et Dieu aussi sans doute !

 

Une maison courant d’air

La maison était grande, construite à la va-vite, sans charme et sans relief. Faire vite, s’étourdir dans l’action et oublier les horreurs de la guerre, il y avait un Nouveau Monde à construire.

L’humidité était palpable et laissait de grandes traînées noires sur les murs, les multiples couches de peinture n’y faisaient rien. Le vent de la mer têtu et infatigable faisait battre les volets. L’hiver, les vitres étaient couvertes de givres et s’animaient de ravissants dessins végétaux.

Nous disposions d’un minuscule cabinet de toilette équipé d’un petit lavabo d’eau froide pour neuf personnes, la toilette était vite, très vite expédiée, mais nous avions l’eau courante, c’était une chance.

C’était une maison courant d’air, les portes claquaient sans arrêt. Un va-et-vient incessant l’animait de l’aube jusque tard dans la nuit. Un client se faisait servir au bar, à l’épicerie, à la quincaillerie ou à l’essence, il s’attardait quelque peu, un enfant rentrait de l’école, puis un autre et encore un autre.

Les protagonistes étaient nombreux, il y avait nos parents, les enfants et dans le rôle principal le commerce.

La forge attenante à la maison dévoilait ses bruits et ses odeurs. Le marteau sur l’enclume, la respiration puissante du soufflet attisant la flamme, l’odeur des sabots brûlés prêts à recevoir les fers, ce mélange de métal, de feu et de bête me fascinait.

La forge était un lieu de rencontre, de retrouvailles, les nouvelles s’échangeaient entre deux coups de marteau. Les vies se mêlaient souvent dans cette maison courant d’air, les tristesses, les rires et les chansons aussi.