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 Il faut savoir

Tu es arrivé à Vevey, petit enfant de sept ans débarquant de ton village suisse-allemand sans connaître un mot de français et voilà qu’à l’école on te traita de sale boche. 14-18 n’avait pas encore eu lieu mais déjà cette barrière dans l’esprit des peuples. Du jour au lendemain tu décidas de perdre cet accent maudit pour te fondre dans la masse. Quelle volonté !

Adulte, tu déménageas à Prilly avec ton épouse, toi si grand et mince pour elle, femme sévère et costaude. Tu achetas une ferme à ce qu’on appelle aujourd’hui la vallée de la jeunesse et où ne subsiste aujourd’hui plus aucune maison. J’ai retrouvé une vieille photo de La Verniaz comme tu l’avais baptisée, tu poses devant la façade, ta femme faisant un signe de la fenêtre ouverte du second.

Tu aimais la terre et laitier fut ton métier. Avec ta charrette tu sillonnais les rues pavées de la ville pour distribuer ces bouteilles remplies de cette blanche boisson que tu déposais sur le palier des vieux immeubles. Souvent tu emmenais ton aîné que tu installais entre deux boilles d’alu en le sermonnant quand il bougeait de trop. Un dimanche, tu mis même un fusil dans les mains de ce fils pour qu’il abatte le poulet destiné au festin du jour. Il visa si bien qu’il atteignit la tête du bipède d’une mortelle balle qui la lui détacha du corps mais qui n’arrêta en rien sa course, tant et si bien que le corps emplumé termina son parcours fatal dans un arbuste.

Bien des années plus tard, on te décela une saleté de crabe dans ton cerveau. Soixante et un ans, tellement tôt pour mourir. Tu n’auras pas eu le temps de me connaître, la maladie te fermant les yeux à jamais trente minutes avant que le monde ne m’ouvre ses portes. Ne dit-on pas une vie pour une autre ?

Ce que je sais de toi, ton fils, mon père, me le racontait quand nous partions tous les deux sur les chemins de randonnées, et tu as, grand-père, une place particulière dans mon cœur.

 

 

Un jour, une robe…

La lourdeur de cette robe que la chaleur d’été accentuait au centuple. Et pourtant le mal que je m’étais donné pour la confectionner, passage obligé afin d’assister à cette commémoration du Château de l’Isle. Le choix du tissu d’abord, de ces étoffes si épaisses qui servent de nos jours aux tentures si impénétrables. Ecumer les merceries ensuite pour agrémenter le costume de dentelle et s’approcher au mieux de ce qui se faisait deux cent cinquante ans auparavant. Peu étonnant que les dames de la cour tombaient en syncope après ça. Il fallait de plus un corsage tellement ajusté que cela aurait dû mettre les arguments en valeur mais forcément quand la marchandise fait défaut, le décolleté pigeonnant pourtant si joli faisait sur moi plate figure.

L’important est que nous étions tous réunis en famille pour cette journée et ma sœur et moi magnifiques, parées de nos atours aussi chatoyants que pesants. Nous avions profité également d’assortir maris et enfants et les longues heures de couture nous avaient vite fait oublier la tâche ardue en les voyant si…… authentiquement décalés parmi les visiteurs non grimés.

La robe existe encore mais depuis plus de vingt ans, traîne dans une housse au fond de l’armoire à l’abri de la poussière et des regards.