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Des étés dans le marais chez la grand-mère

 

 

 

Et le marais et les grands-mères

Les maisons d’un autre temps

Parlons-en

 

 

C’est l’été chez la grand-mère

Celle qu’on appelle encore grand-mère

Tellement elle paraît vieille, hors d’âge 

Les cheveux sont blancs comme neige

Coiffés toujours d’un béret de feutre noir

Noir comme le reste de l’habit

La robe-blouse de gros drap

Le tablier qui la recouvre

Mais fantaisie à petites fleurs blanches comme coquetterie

Les bas été comme hiver

Les chaussures ou les chaussons c’est selon

Le grand sac cabas toujours le même avec rien dedans

Seule la cane est de bois lavé 

Un grand mouchoir rayé bleu quelque part dans une poche

Et l’odeur de lavande

Seul véritable produit de beauté

Qui trône sur la cheminée

Dans son élégante bouteille profilée

Toujours la même

A la même place

Près des boîtes à épices métalliques à carreaux bleus et blancs bien alignées de la plus grande à la plus petite

C’est l’une d’elles qui renferme les « pastilles »

Autant dire « bonbons »

Vichy ou caramels durs Milka avec la vache gravée dessus, c’est selon

Parfois ce sont des biscuits secs

Et là, on est franchement déçus !

C’est incroyable de constater combien quelques étés dans une existence peuvent marquer toute une vie

D’abord la notion de temps

Totalement subjective

Combien de temps y étions-nous ?

Quinze jours ? Un mois ?…

Peu importe le temps, la durée

Le paradis n’a pas de prix …

Et les odeurs pas de limites

Celles qui marquent pour l’éternité

L’indescriptible du placard intégré dans le mur épais blanchi à la chaud fermé par deux portes de bois verni

Pas le renfermé

Pas l’humidité

Pas le moisi

Je ne sais pas

Le placard de la grand-mère qui renferme les grands bols des matins estivaux en épaisse céramique blanche aux motifs fleuris bordeaux ou bleus dans la lumière fraîche du soleil qui s’impose par la porte ouverte sur le dehors encore chargé des fraîcheurs de la nuit 

Celle du café moulu maison dans le giron de la grand-mère au lait concentré Nestlé en tube

Et des grandes tartines beurrées de gros pain de quatre

L’incomparable reconnaissable parmi toutes

Celle du soleil dans les feuilles du figuier tortueux

Celle de la poussière sèche du hangar sous lequel sommeille encore peut-être la vieille charrette bleue délavée

Elles resurgissent avec la mémoire sélective 

Qui fouille le passé à la recherche des sensations fortes de l’enfance en allée

L’odeur du blé engrangé au grenier dans lequel on aime enfoncer nos mains et nos bras jusqu’au coude avec l’impression qu’ils explorent un univers inconnu et infini 

Celle de la suie froide dans la grande cheminée de la pièce à vivre fermée par un paravent de toile cirée écrue à petites fleurs rouges

Celui-là même qui m’était tombé dessus alors que le grand-père me demandait sa cane  

Et cette impression incroyable que le monde s’écroule sous le poids d’un panneau immense et grand comme un couvercle sépulcral 

Voilà le seul souvenir du grand-père associé pour toujours à cette ridicule aventure funeste qui fit de moi le martyr du paravent ensevelisseur d’enfants maltraités !

C’est dans cette même cheminée que des années plus tard

Je devais laisser tomber le petit balai de paille dans les braises du foyer incandescent

Ne sachant plus comment éteindre le début d’incendie qui devait ravager le bout de l’objet du délit

Qui ne m’aura coûté qu’une vague remarque de la grand-mère 

Lors de l’une des visites suivantes

Celle de l’été à venir probablement.

Personne n’en aura jamais rien su…

C’était dans la précipitation

Nous étions sur le départ

Tout le monde avait déjà embarqué à bord de de l’ID familiale

Quelque chose avait été oublié 

Et je suis retourné, seul, en courant dans la maison de la grand-mère

Pourquoi ai-je fait tomber le petit balai dans l’âtre encore plein de braises?

Dans ma course, je n’ai pu ou pas voulu le relever

Et c’est ni vu ni connu que je suis revenu dans la voiture prête à partir

Seule la grand-mère au cœur triste de solitude aura découvert le litige du balai à moitié consumé lorsqu’elle aura regagné lentement la maison vide de nos vies de vacances…

Toujours j’y repense à ces moments passés dans la maison du marais sans aucun confort

Mais tellement mystérieuse

Avec ses grandes armoires pleines de secrets

La table au tapis dans la chambre grossièrement pavée de pierres plates disjointes avec ses photos d’autres temps sur lesquelles les mariées les plus anciennes sont en noir

Et le buffet à gauche en entrant après avoir poussé la grosse porte au loquet de fer

Plein de ses odeurs de brioche à la fleur d’oranger…

C’était la maison des barriques

Que l’on remplit de prunes l’été

Pour un centime l’après-midi ou le baquet ?

Je ne sais plus…

Mais la petite boîte de plastique rouge au couvercle transparent revenait pleine de ces petites pièces inutiles dans la maison de la ville natale que l’on a quittée sans regrets…

 

 

Le manteau blanc

 

 

« Le manteau blanc »

Et ça commencerait comme ça

Sur le souvenir d’une matière

Comme une laine écrue

Avec des reliefs et de gros boutons de nacre

Et le sac qui va avec

Comme une boîte de raphia tressé blanc beige et noir

Qui s’ouvre en deux

Comme une orange coupée

Ou plutôt une pastèque

Forme ovoïde

Petite valise renflée

La toile à l’intérieur, écrue, souple

Et la lanière de cuir noir qui rassemble les deux quartiers bombés tressés

Malle aux trésors à l’ouverture interdite

Un monde imaginaire

Fermé à jamais

En allé pour toujours 

Avec ses merveilles et ses secrets

Comme Elle

Dans son manteau blanc.

Comme ça que je l’imagine

Dans son manteau blanc.

Endimanchée pour l‘éternité

Dans son linceul couleur de neige un peu salie.

Les chaussures je les imagine pointues

A petits talons évasés vers le bas

Escarpins façon 1960

La coiffure est apprêtée

Comme pour une cérémonie « officielle »

Coiffeur oblige

Etre impeccable

Pour la circonstance.

La bouche est fine

Je la tiens de là

Dessinée et surlignée de rouge

Le teint est blanc

Pâle, trop pâle.

De tout cela

Je n’ai rien vu.

Mais le manteau, le sac et les chaussures

Je les ai connus.

 

 

Vintage en son temps

 

 

C’est le temps du solex

Le temps des pique-niques

Le dimanche en forêt

Ça sent bon le pin la bruyère et la sable chaud dans le murmure des grillons que l’on prend pour des cigales

C’est le temps de la 4CV

Bleu ciel

Décapotable

Chromes rutilants pour la sortie du week-end

De la toile cirée façon écossaise noire blanche et grise à grosses petites et fines rayures savamment orchestrées

Bien rangée dans la table-valise fabrication maison avec ses quatre pieds de tube que l’on encastre aux quatre coins pour des festins improvisés de poulet grillé 

 

 

C’est dans mon souvenir

Comme ça

Des couleurs et des lumières

Des visages souriants

Sur des images arrêtées

Dans un air suspendu.

Je vois

Mais je ne dis rien

Je suis là 

J’observe

Du soleil toujours

Celui du début de l’été

Quand la verdure est encore fraîche

Tendre

Ça sent le pin et la bruyère.

Comme le manteau blanc

La couverture verte rayée de lignes marron

Gratte un peu

Mais elle est chaude.

C’est elle qui servira de tente

L’été

Dans le jura

Ou dans les Landes

Pour des nuits à la belle étoile

Quand on rentre à pas feutrés dans la maison endormie aux premiers bruits de la nuit