Déprime à bord
Au poste de vigie, sur mon navire
Mes nuits blanches sont roses de rougir
J'ai fait capitaine le gré du vent
Qui souffle jusqu'aux tréfonds de l'oubli
L'épave connaît ce chant captivant
Des sirènes, au cap de la folie
Depuis, ma gueule de bois drague l'écume
Tangue sous les charmes du désespoir
Et ma proue, lovée d'un serpent à plume
Sillonne les flots amers d'idées noires
Les bouteilles échouées, par-dessus bord
Sont vides, car je ne sais plus frapper
À l'encre du cœur, dardé de sabords
Mon incommensurable vacuité
Au poste de vigie, sur mon navire
Mes nuits blanches sont roses de rougir
Peu à peu, vers l'horizon décrépi
Lorsque l'étoile pâlit avant l'âge
Une brume dense s'épanouit
Où trame l'écueil, servant du naufrage
Sauve qui peut les ultimes fragrances
L'impression d'une île entrevue jadis
Quand le prisme indigo de mon enfance
Luttait contre l'ivresse des abysses
Je puise dans l'océan suranné
Les restes brisés d'une âme à la mer
Quelques oripeaux d'un rêve bleuté
Pour grimer le monde avec sa poussière
De fil en aiguille
Devant la page blanche, tu vacilles
Mais vertige n'est qu'un mirage
Quand la main opiniâtre déshabille
Le flot cotonneux des nuages
Il tombe des flocons de mousseline
A la lisière inexplorée
Piano feutrés, les boucles se dessinent
Sur l'écheveau de tes pensées
La feuille dévoile ses entrelacs
Au pied d'un bosquet damassé
Sous les branches tressées, le canut traque
Son vers à soie bien camouflé
Du ciel brocardé, la maille indicible
Capte quelques mots en vadrouilles
Aux vibrations de ses cordes sensibles
Ourdit par ton âme quenouille
Cherche la petite bête idéale
Pour draper l'ennui coutumier
Pareille à l'araignée tissant sa toile
Dans les recoins d'un vieux grenier
Amor
Danse, danse fandango
En rond de vautour
Nova, la nova taureau
Écorne les jours
Quand louvoient dans ta robe à pois
Tes hanches galbées de guitare
Tu es si belle, Madona
Sous les orangers d'Alcazar
Au ciel ardent de ma bohême
L'oiseau ne connaît pas de loi
Si je t'aime, pauvre Carmen
Si je te veux, malheur à toi
J'ai dans ma poche un long couteau
Pour écorcher dès qu'ils aboient
Chiens andalous, et boléros
Sur les sentiers de la peña
Crève, crève flamenco
Le monde alentour
Tes yeux, tes beaux yeux Mado
Suffiront toujours
De la péninsule Ibérique
Nul n'existe, autant que moi
Mourant sur tes seins magnifiques
Aux gorges brisées de Ronda
Quel duende, quand dans l'arène
Tes coups de griffes, petit chat
Vidaient mon cœur par l'abdomen
Puisque le tien ne m'aimait pas!
Avec ton châle de manille
Je n'ai pas eu d'autre choix
Que d'étrangler tout ce qui brille
Et puis ta nuque sous mes doigts
Saigne, saigne le fado
À tes blancs atours
Ton corps, ton corps aux corbeaux
Cramoisi d'amour