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L’APPEL DE LA FORÊT

 

     Ah ! Si je pouvais, de mes poumons, pousser un impénétrable cri ; une langoureuse plainte, une clameur exaltée, si fugaces mais tellement vrai, oui, je le ferais, mes chers ; car, n’y a-t-il rien de plus pénible, de plus sombre, de plus triste, que de voir l’un de ces congénères, vieux chêne dont le ramage n’a d’égal que la beauté du ciel, brûler à cause de quelques énergumènes.

 

     Ah ! Comme ils sont joyeux, enthousiastes, éhontés, à l’affût d’un carré de terre, ces excités, juste pour parfaire leur monde de plâtre et de béton !

 

     Si nos larmes pouvaient s’abattre sur vos immeubles informes et grisonnants, elles les inonderaient, ravageuses et destructrices pour ne laisser qu’une terre souillée par vos déchets.

 

     Si nous pouvions exprimer ce désappointement exacerbé, qui trouble nos âmes flétries, vous verriez à quel point nos hurlements balayeraient votre inconscience, votre inconsistance.

 

     Nous ne sommes, pour vous, que de fragiles pousses qui infestent vos villes. Croyez-vous vraiment qu’une forêt se résume à quelques arbres plantés ? Sachez que nous avons une toute autre vision de cette composante que nous formons.

 

     Peut-être n’avez-vous jamais connu ce besoin latent de solitude ? Cette envie douce et amère d’arpenter nos sentiers pour y voir la clarté de vos sentiments. Si vous saviez combien d’infortunés sont repartis le visage apaisé…

 

     Ou bien n’avez-vous jamais eu la volonté de stopper l’engrenage du quotidien, sa monotonie, pour la découverte de nos trésors cachés ?

 

     Non, certainement pas, vous êtes trop occupés à courir après je ne sais quoi dans les rues sales et étroites de votre ville.

 

     Et même si le destin vous amenait à vous réveiller dans cet environnement extraordinaire, seriez-vous capables de l’apprécier ?

 

     Prêteriez-vous attention aux frissonnements des feuilles, aux craquements de bois, à cette goutte de pluie qui n’espère qu’un sursaut de vos bas instincts ?

 

     Après tout, nous ne sommes simplement debout que pour contribuer à la pousse des bolets, de la mousse, parsemés de rosée matinale ; ou bien, pour voir encore une fois, virevolter, ce papillon, fragile, éphémère ; ce cerf, dont la noblesse, nous rend interdit.

 

     Nous ne sommes rien, juste de minces éléments, qui chaque jour un peu plus, se meurent. Nous sommes, que dis-je, « je » suis la forêt, car la réunion de nos ensembles ne prouvent-ils pas notre concordance ?

 

     Les oiseaux nous offrent d’infinis ballets ; les insectes, quant à eux, guettent l’arrivée douloureuse de l’hiver, qui verront leurs réserves s’amoindrir ; un chevreuil tombera sous une balle, un amas de sang me rappellera les couleurs des feuilles d’automne ; et que dire de ces promeneurs hasardeux, qui partent à la recherche d’un dolmen, d’une fontaine, d’une fée… De petits êtres s’évertuent à combler leur ennui dans la fabrication d’une cabane, sa stabilité vous surprendrait ; ils seront les seuls à apercevoir, encore et encore, les baies du houx sous la neige cachées.

 

     Et vous, mes très chers, me regarderiez-vous, un jour, avec ses yeux là ?

 

     Ce n’est pas si sûr, votre innocence se ternit et se perd ; mais j’ai l’espoir de rencontrer à nouveau ce promeneur solitaire, qui sait observer le clapotis de l’eau sur les feuilles veinées, les genêts en fleurs et la bruyère enivrante…

 

     Et c’est pour cet Homme, si différent du commun des mortels, pour ce poète incompris, que je continuerai à me lever fièrement, pour qu’un jour encore, un autre Homme s’émerveille.


 

ATTRAIT DU PASSÉ

 

 

Et même si le lumineux semble agoniser,

dans le ciel uniforme d’une blanchâtre nuance,

 

Si la rose paraît s’évanouir,

d’avoir trop existé,

et que le temps ternit inexorablement nos souvenirs,

 

Reste ce sentiment impertinent, ce désir impromptu,

De se remémorer un éclat, une pluie, un été ;

Pour ne jamais laisser filer la vie.


 

LE SOLEIL S’ÉTANT COUCHÉ

 

 

     Ce soir, les heures n’ont plus d’odeurs, tu es partie. Les quais ombragés m’appellent. Il faut se rendre à l’évidence, ils veulent me tenir éveillé. Dans ton souvenir, la voûte céleste périt. Le lumineux ne brillera bientôt plus. Dans cette attente funeste, mes prunelles s’éclaboussent d’orange, de jaune, de rose. Je me surprends à me délecter de ces tons et de ces nuages, qui s’effacent comme s’efface ton visage d’ange. Le soleil semble, quant à lui, loin de mes préoccupations mielleuses et ne recherche son reflet, dans l’océan, que pour se rassurer de sa beauté. La pureté de ces rayons illumine mon œil d’un étrange vert. C’est lui aussi, qui ose se poser sur le remous silencieux des vagues, comme pour se reposer d’avoir tant brillé. Bientôt, il disparaîtra, faisant du jour, veuf, une nuit. Et pourtant, la lune, stoïque, ne semble pas s’en soucier, et, voici, que se rejoignent, dans une nuance bleutée, le ciel et ces flots mouvants.

 

     Mais déjà, la brume embrasse les ténèbres, d’une poreuse blancheur. Elle envahit mon âme et la nuit frissonnante de ma solitude. Alors j’attends inexorablement la fin de ce paradis noir.