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L’empereur Charlemagne avait mené des batailles victorieuses pendant sept ans en Espagne, conquérant toutes les grandes cités espagnoles sauf Saragosse de Marsile, le roi sarrasin qui le craignait et le maudissait, tout en réfléchissant à une solution pour le combattre.

Dans un verger, sous un ombrage, assis sur son trône, Marsile rongeait son frein. On lui apporta une caisse sur laquelle était posé un ordinateur. Ses vingt mille hommes étaient installés sur une immense plaine. Autour de lui, se trouvait son conseil constitué de douze ducs et comtes. Le roi toucha l’écran. Les statistiques des victoires de l’empereur s’affichèrent. Il était perplexe.

— Comment le vaincre ? demanda Marsile.

Personne ne répondit. Alors, il se tourna vers son équipe rapprochée, l’air sévère.

 — Je sais que Charlemagne est prêt à envoyer des troupes contre nous mais je n’ai plus une armée suffisante pour le combattre. Dites-moi comment je dois faire en vue de lui résister.

— Ne vous inquiétez pas. Je vous propose un plan, s’exclama Blancandrin. Vous savez combien Charlemagne est orgueilleux et fier. Donnez-lui l’assurance de vos fidèles services et jurez lui grande amitié. Fournissez-lui des ours, des lions, des chiens, sept cent chameaux et mille autours. Je suis sûr qu’il doit être fatigué de guerroyer et qu’il sera bien content de repartir chez lui à Aix. Il faudra en plus que vous acceptiez de devenir chrétien et d’être son vassal. S’il vous demande des otages – et afin de le mettre en confiance – envoyez-lui en une vingtaine et pas n’importe qui. Il lui faut un butin de qualité. Pourquoi ne pas envoyer les fils de bonnes familles ? Cela nous évitera de perdre notre honneur et d’être réduits à mendier ! Sur ma tête et par ma barbe qui flotte au vent, je vous parie que vous verrez aussitôt l’armée franque se défaire. Je suis sûr que les Francs repartiront chez eux. Et puis, viendra le temps où Charlemagne voudra organiser la fête de Saint-Michel à Aix. À ce moment-là, il ne nous entendra plus et n’aura aucune nouvelle de nous ! Mais il est cruel et je sais qu’il fera trancher la tête de nos otages. Ce sera quand même mieux que de perdre l’Espagne et de subir des maux et des misères.

— Tu as bien parlé. Je suis d’accord avec ce que tu proposes, approuva Marsile. Je choisis dix serviteurs dans le but d’accomplir cette mission. Blancandrin, à leur tête tu seras mon porte parole.

Marsile désigna bien sûr ceux qu’il soupçonnait d’être les plus félons, sans en avoir toutefois la preuve. Leur faire prendre des risques l’arrangeait bien ainsi que l’idée de les expédier loin de lui. 

— Seigneurs barons, vous allez vous rendre auprès de Charlemagne à Cordoue. Vous aurez dans les mains des rameaux d’oliviers et vous lui montrerez ainsi notre intention de paix et d’humilité. Si vous réussissez à le convaincre de nous entendre, je vous rémunèrerai en argent, en or et en fiefs, autant que vous en souhaiterez. Demandez-lui qu’il ait pitié de moi, au nom de son dieu. J’accepterai la religion chrétienne et je serai son homme avec amour et foi. S’il veut des otages, je lui en livrerai.

— C’est sûr que vous obtiendrez ainsi un très bon accord, ajouta Blancandrin.

Sans tarder, le conseiller et les émissaires se mirent en route avec dix mules blanches, harnachées de freins en or et de selles incrustées d’argent.    

Pendant ce temps, à Cordoue, l’empereur était joyeux. Il avait pris la cité et abattu les murailles. Il se trouvait au milieu d’un grand jardin, en compagnie de son neveu Roland, d’Olivier, ami de ce dernier, et de quelques-uns de ses seigneurs dont Geoffroi d’Anjou. Une armée de vingt mille combattants était aussi présente à proximité. Les chevaliers étaient assis sur des étoffes de soie blanche. Les plus jeunes et les vieux jouaient sur des tables à écrans tactiles, à des jeux de simulations de batailles. L’empereur, à la barbe blanche et fleurie, au corps de géant, était assis sur un trône en or pur. Il se divertissait en regardant un film racontant son épopée sur un grand écran. Quand soudain, les messagers de Marsile firent irruption, après plusieurs jours de chevauchée. Des seigneurs les accueillirent et acceptèrent de les conduire auprès de l’empereur. Ils le saluèrent avec respect. Charlemagne fut étonné que ses agents de sécurité qui possédaient un GPS et un drône ne l’aient pas prévenu avant leur arrivée.

— Que Dieu vous sauve ! lança Blancandrin. Je suis venu vous dire que le roi Marsile veut vous donner des lingots, des richesses et cent mulets troussés d’or et d’argent  Si vous retournez chez les Francs, il est prêt à vous suivre.

Charlemagne resta silencieux quelques instants.   

— Votre proposition est intéressante, mais comme ce roi est mon grand ennemi, quel crédit puis-je lui accorder ? Qui me dit qu’il tiendra promesse ?

— Regardez cette tablette.

Le roi Marsile apparut à l’écran.

— Mon Seigneur, si vous acceptez ma proposition, je vous offre aussi des otages. Dix, quinze ou vingt, comme il vous siéra. Parmi eux, il y aura mon fils et de plus nobles encore. À la Saint-Michel, il vous suivra et acceptera de devenir chrétien.

Blancardin éteignit l’appareil.

— Qu’en pensez-vous maître ? 

— Il peut encore sauver son âme, lâcha Charlemagne. Tout cela est bien, mais laissez-moi un moment. Je vais réfléchir. En attendant, je vous offre l’hospitalité comme il se doit.

L’empereur logea les messagers sous une tente et leur fit apporter des vivres.  

Le jour suivant, il réunit le Conseil avec ses barons. Ils étaient nombreux et parmi eux se trouvaient Roland, Olivier et Ganelon. Il alluma son ordinateur et leur lut les propositions des messagers.

— C’est très bien, mais je doute quand même de la sincérité du roi des Sarrasins.

— Vous avez tout à fait raison de douter, dit le comte Roland. Mon oncle, je vous demande de ne pas croire ce souverain. Il y a sept ans, vous avez conquis plusieurs seigneuries dans son pays et il s’est comporté de la même manière qu’aujourd’hui. Il a envoyé ses païens et vous a trahi ensuite. Vous lui avez adressé deux de vos comtes. Ils ont été assassinés en montagne. Il faut vous venger. Rendez-vous avec votre armée à Saragosse, faites un long siège de la ville. Vous devez laver l’honneur de ceux que le traitre a fait tuer !

Charlemagne, embarrassé, baissa la tête et frisa sa moustache, mais ne répondit pas tout de suite à son neveu.

Ganelon s’approcha de Charlemagne et s’arrêta devant lui …

— Ne croyez pas ce coquin. Nous devons écouter les sages et non les fous. Acceptons cet accord, car nous risquerions de mourir d’une mort que nous ne souhaiterions pas ! Ne vaut-il pas mieux éviter un nouveau conflit ?

— Il y a de la sagesse dans ce qu’a dit le comte Ganelon, déclara le vassal Naimes. Ce serait bien qu’il soit entendu. Le roi Marsile fut vaincu par vous à la guerre, sans avoir toutefois repris sa cité. Il est à votre merci. Il est inutile d’en faire davantage. Il est en position de faiblesse et si vous décidez de l’affronter, il ne pourra pas être victorieux, surtout avec les équipements nouveaux dont nous sommes dotés maintenant, les robots tueurs et autres drones qu’il ne possède pas. Vous devez éviter un nouveau bain de sang !

Plusieurs chevaliers s’écrièrent : « il a bien parlé ».

— Qui pourrions-nous envoyer à Saragosse ? demanda l’empereur à ses vassaux.

— Je veux bien m’y rendre, répondit Naimes.

— Non, pas vous. Vous êtes un de mes sages et devez rester près de moi.

— Je puis très bien y aller, proposa Roland.

— Non, pas vous, s’exclama le comte Olivier. Avec votre caractère, vous vous battrez, je n’en doute pas.

— Laissez vos francs au repos. Je vais y aller, dit Turpin de Reims. Sire, donnez-moi le bâton et le gant et j’irai auprès du Sarrasin d’Espagne.

Charlemagne répondit, en colère :

— Allez vous asseoir sur le tapis blanc et n’en parlez plus. Vous n’irez ni l’un, ni l’autre. Chevaliers Francs désignez-moi un baron de ma marche !

— Ce sera Ganelon, dit Roland.

— Pourquoi moi ? Si je reviens de là-bas, je te causerai du tort tout le reste de ta vie !  

— Je n’ai cure de tes menaces. C’est un homme sensé qui doit s’y rendre. Si l’empereur est d’accord, je peux y aller à ta place, répondit Roland.

— Je ne suis pas à tes ordres, répliqua Ganelon, mais si Charlemagne le veut, j’irai à Saragosse. Je sais que lorsqu’on va là-bas, on peut ne pas en revenir. Je lèguerai donc mes biens et mes terres à mon fils Baudouin, neveu de l’empereur. Un jour, je me vengerai de ce coup.

Roland rit en l’entendant. Ganelon lui répondit :

— Je ne t’aime pas. Tu as fait prendre à l’empereur une décision injuste.

Charlemagne qui avait eu de mal à se décider et qui préférait renvoyer à Saragosse, en compagnie des messagers, Ganelon plutôt que Roland ne tint pas compte de la plainte du premier.

— Approchez Ganelon, dit l’empereur. Voici le bâton et le gant, puisque les Francs vous choisissent. 

— Non. C’est Roland qui a tout fait.

 Le comte désigné laissa tomber le gant au moment de le saisir et dit :

— C’est un message de Dieu… 

Il vit là un présage et s’adressa aux autres vassaux.

 — Seigneurs, vous en aurez des nouvelles ! clama-t-il.  

Aussitôt dit, Ganelon, monté sur son cheval Tachenoir, partit vers Saragosse en compagnie des messagers du roi espagnol. En cheminant, il discuta avec Blancandrin.

— Je trouve que les vassaux de Charlemagne conseillent bien mal leur empereur. 

— Je ne suis pas de cet avis, dit Ganelon. Le seul qui pose problème, c’est Roland. Il en pâtira un jour ! 

— Il est odieux de vouloir conquérir toute terre, ajouta Blancandrin. 

Ils se promirent de faire tuer Roland. Ce qui revenait pour Ganelon à trahir Charlemagne.

Après avoir chevauché pendant de nombreux jours, Ganelon et Blancandrin arrivèrent à Saragosse où il rencontrèrent le roi d’Espagne qui, assis sur son trône sous un if, était entouré de vingt mille Sarrasins. En tenant Ganelon par la main, Blancandrin dit au roi Marsile :

— Nous avons fait part de votre message à Charlemagne. En retour, il vous envoie son noble baron que voici. Il va vous dire si vous aurez ou non la paix. Il faut que vous acceptiez de devenir chrétien. Il vous donnera alors en fief une moitié de l’Espagne et l’autre sera destinée à son neveu Roland. Si vous n’acceptez pas cet accord, il vous fera arrêter, enchaîner et conduire à Aix ou vous serez jugé et condamné à mort.

En entendant ces derniers mots et ne retenant que cela, le roi Marsile changea de couleur. Il menaça le baron avec son épée, mais il en fut vite empêché. Ses meilleurs sarrasins tentèrent de le calmer et le firent asseoir sur son trône.

Alors, Ganelon jeta à terre son manteau de zibeline et s’avança vers le roi. 

— Vous avez tort de vous mettre en pareil état car Charlemagne vous fait une proposition honorable. Voici la lettre qu’il vous envoie. Il ouvrit sa tablette et le roi lut sur l’écran, tandis que son fils s’approchait et voulait abattre Ganelon à cause de la menace qu’il avait proférée envers son père s’il refusait.

Ganelon attrapa la poignée de son épée, puis recula et alla s’appuyer un peu plus loin contre le tronc d’un pin, comme s’il voulait éviter le duel et se défendre en cas d’assaut.

De son côté, le roi réunit ses principaux vassaux et Blancandrin. Puis il demanda qu’on lui amena le Franc. Blancandrin s’en chargea.

— Je reconnais que j’ai mal réagi en me mettant en colère et en vous menaçant, dit-il, mais je veux m’entendre avec vous. Parlez-moi de Charlemagne. Vu toutes les aventures qu’il a connues, j’imagine qu’il doit avoir plus de deux cent ans ? Quand sera-t-il las de guerroyer ?

— Non, il n’est pas comme ça. Il continuera à se battre tant que son neveu Roland vivra.

Puis, il montra au roi, sur sa tablette, un petit film de propagande qui décrivait la dernière bataille gagnée par l’empereur. Le roi ne voulut pas regarder et s’écarta d’un coup de l’appareil.  

— Vous semblez ignorer que j’ai une grande armée de cinquante mille chevaliers, s’écria le roi ! Vous n’en verrez jamais de plus belle… Pensez-vous que je puisse me battre contre Charlemagne et le Franc Roland ? 

— N’en faites rien dit Ganelon. Tenez-vous en à la sagesse. Si vous lui donnez beaucoup de biens, si vous vous soumettez, si vous vous convertissez et si vous lui livrez vingt otages, je suis sûr qu’il repartira chez les Francs et que son arrière-garde restera encore en Espagne lorsqu’il parviendra à destination. Roland y sera.

Le roi Marsile envisagea l’accord avec Charlemagne comme une ruse et n’exclut pas de livrer bataille au neveu de l’empereur dont il avait cru comprendre qu’il voulait lui attribuer l’autre moitié de l’Espagne et que Ganelon souhaitait se venger de lui, ce qui lui donna une idée.

— Mais dites-moi Ganelon, comment pourrais-je faire tuer Roland ?

— C’est simple. Lorsque Charlemagne arrivera aux cols du pays de Cize, dans les Pyrénées, son arrière garde, avec à sa tête Roland, se trouvera derrière lui à bonne distance, avec vingt mille Francs. Envoyez-leur cent mille de vos soldats. Livrez-leur une bataille et Roland, coincé dans les montagnes, ne pourra pas s’en sortir. L’empereur à la barbe fleurie perdra son bras droit, ne s’en remettra pas et renoncera pour toujours à faire la guerre.

Le roi fit signe à un de ses sujets de remettre une épée à Ganelon.

— Je vous la donne par amitié pour que vous nous aidiez au sujet de Roland afin que nous puissions le trouver à l’arrière garde. 

— Ce sera fait, je vous le jure.

Le roi fit préparer un énorme trésor : sept cents chameaux chargés d’or et d’argent, qu’il remit à Ganelon.

— Ganelon, présentez tout ça à Charlemagne, dit-il, puis faites-moi désigner Roland à l’arrière garde. Si je trouve ce dernier dans quelque port ou passage montagneux, je lui livrerai une bataille à mort.

Ganelon repartit aussitôt, à cheval, accompagné du trésor et des otages. Après plusieurs jours de chevauchée, il arriva au camp de Charlemagne.

L’empereur le reçut, avec tout son conseil, dont Roland. 

— Je vous amène ici les clés de Saragosse, un énorme trésor et vingt otages, déclara-t-il.  Marsile vous fait dire que son armée a disparu pour fuir la loi chrétienne qu’ils ne veulent ni recevoir ni garder. Bientôt, il sera sous votre autorité un vassal qui tiendra le royaume d’Espagne.

— Dieu en soit remercié. C’est très bien ce que vous avez fait et je vous récompenserai.

À la nuit tombée, Charlemagne s’endormit et fit un rêve curieux. Il se vit dans les plus grands ports de Cize, tenant sa lance de frêne lorsque Ganelon la lui arracha et la brisa. Il rêva aussi qu’à Aix il était mordu par un verrat, puis attaqué par un léopard en Ardenne. Il vit aussi arriver un vautre qui trancha l’oreille au verrat avant de combattre avec fureur le léopard. C’était un grand combat. On ne savait pas qui l’emporterait. Charles dormait.

À l’aube, l’armée repartit. Charlemagne chevauchait fièrement et demanda à ses barons de lui désigner celui qui serait à la tête de l’arrière-garde. 

— Roland, mon beau fils, proposa Ganelon. C’est le plus vaillant de tous les chevaliers.

 L’empereur traita alors Ganelon de « diable vivant » et lui demanda qui serait donc à l’avant garde ? 

— Ogier de Danemark sera devant, répondit-il

Roland avait entendu qu’on le désignait à l’arrière.

— Coquin, homme lâche et de vile espèce !dit-il, très en colère.

Naimes approuva la proposition.

— C’est Roland qui doit conduire l’arrière-garde. Personne, aucun baron ne pourra rien y changer.

L’empereur baissa la tête et lissa sa barbe. Il n’eut pas le courage de refuser et ne voulut pas passer pour un faible qui aurait mis quelqu’un de sa famille à l’abri… Il appela Roland.

 — Je vous prêterai la moitié de mon armée et gardez bien ces soldats, c’est votre salut, lui dit-il.

— Passez les ports en toute assurance, répondit Roland. Avec moi, vous n’avez rien à craindre.

Roland montait son destrier, accompagné d’Olivier, de Gérin, de Béranger, de Gaifier, de Gautier et de vingt mille chevaliers. Sur ordre de Roland, Gautier prit mille soldats francs et partit dans les vallées et les montagnes. 

Charlemagne et ses hommes franchirent les Pyrénées et se retrouvèrent en Gascogne où ils avaient leurs fiefs, leurs domaines et leurs épouses. Roland était encore à l’arrière de l’autre côté des Pyrénées. Pris d’émotion, des larmes lui montèrent aux yeux. Il était inquiet. Il repensa à la vision qu’il avait eue une nuit. Il avait rêvé que Ganelon le trahissait et que son neveu Roland était en danger.

Pendant ce temps, le roi Marsile fit sonner ses trompettes et tambours à Saragosse, rassembla cinquante mille soldats, venant de toute l’Espagne, en trois jours, puis se dirigea vers les Pyrénées.

Roland avait déployé trois drones dirigés à bon escient. Il montra les vues obtenues à Roland. Une foule de blancs hauberts et de heaumes flamboyants se déployaient du côté de l’Espagne. Il fut ainsi prévenu de la position et de l’arrivée de cette armée. 

 — Ganelon a dû nous trahir ! fit Olivier. Il t’aura désigné à l’empereur et ensuite il se sera entendu avec notre ennemi dans le but de te piéger. Lui seul était en mesure de renseigner les Sarrasins sur la route que nous devions suivre. Appelle Charlemagne. Il nous faut des renforts qui nous permettront de tenir tête à cette immense armée ! 

Cette fois plutôt que d’envoyer un émissaire, Roland pensa à prendre son téléphone mobile mais ça ne répondait pas, alors il tapa un message. Il attendit la réponse dix bonnes minutes.

« Je ne peux pas revenir assez vite à tes côtés et je le regrette. Il faut que tu affrontes l’ennemi avec courage. De tout cœur avec toi ». Ton oncle Charles.

Roland eut un moment de tristesse mais reprit vite le dessus.

— Écoute Olivier, Charlemagne ne viendra pas. C’est à nous de mettre en place une stratégie de fuite qui nous sauvera !

— Mais Charlemagne trouvera que nous avons manqué de courage en procédant ainsi !

— Non. Celui qui devra rendre des comptes, qui sera jugé et condamné, c’est Ganelon, parce qu’il nous a trahi ! Le roi Marsile ne pouvait pas savoir où je me trouvais. Seul Ganelon savait ce qui allait se passer et il a mis au courant le Sarrasin. L'essentiel, c'est de survivre. 

Nous ne sommes pas très loin du col des Pyrénées que nous devions franchir. Prépare tes drones. Nous allons vérifier si l’ennemi est positionné dans ce secteur.

Aussitôt dit, aussitôt fait. Olivier fit décoller deux appareils munis de caméras. Il les téléguida à partir de son poste de contrôle. Vingt minutes plus tard, ils survolaient le passage qui mène au col et on pouvait observer des groupes de soldats qui étaient cachés des deux côtés du chemin. 

— Je te confirme Roland que nous sommes attendus avec peu de chances de nous en sortir. Il y a des milliers d’hommes et ils vont nous enfermer dans une nasse. Impossible de prendre cette voie.

— Tu sais, Olivier, dans l'art de la guerre il existe une stratégie dite du « leurre » et nous allons l’appliquer. A la tombée de la nuit, il faudra fabriquer et mettre en place des sortes d’épouvantails revêtus d’armures de soldats et les placer dans des endroits où ils feront illusion. Nous laisserons aussi le camp en place avec des chariots et tout ce qui pourra nous alléger. Ensuite, nous fuirons dans une direction opposée à celle qui est déjà connue de nos ennemis. Ils savent que nous nous dirigeons en direction de Roncevaux et s’apprêtent à nous piéger. Nous repartirons en pleine nuit sur nos montures, sans armures et sans armes, par groupes espacés de quelques centaines d’hommes en direction des Pyrénées centrales à travers les montagnes, pas par le plus court chemin. Lorsque le jour se lèvera et que les soldats espagnols partiront à l’assaut de notre camp, ils découvriront la supercherie, mais alors nous serons loin et peut-être que nous aurons franchi les Pyrénées et nous appellerons Charlemagne pour le prévenir. Après tout, il ne souhaitait pas que nous mourrions.

— Roland, tu sais bien que nous risquons d’être pris pour des lâches par Charlemagne, si nous faisons ça ? J’aimerais mieux mourir que nous voir reprocher cela. Ce serait une véritable honte !

— Tu préfères que nous mourrions tous en combattant ? Nous avons été trahis. Nous devons nous en tirer en étant plus malins qu’eux. 

— L’histoire retiendra notre fuite devant une bataille et ce sera notre déshonneur. Si nous avons été trahis, nous devons en toute logique nous venger ! L’archevêque n’acceptera pas, au nom de Dieu, que nous nous enfuyions ! Il nous dira que le paradis nous est grand ouvert si nous mourons dans la bataille.

— Ne t’inquiète pas. Il est probable que nos conteurs inventeront une légende. Ils décriront la bataille comme si elle avait eu lieu. Ce pourrait être : « La chanson de Roland ». Ils raconteront même que nous, qui étions si amis, nous nous sommes querellés ! Dans dix siècles, personne ne saura rien de notre leurre et du fait que nous avons survécu parce qu’on ne retient que les légendes. On les enjolive au besoin et on rajoute tout ce qu’on veut. Tiens, moi par exemple, je nous verrais bien en héros morts au combat. J’ai rêvé aussi d’une scène avec mon épée Durandal. Elle tuerait de nombreux Sarrasins… Elle serait sanglante et fendrait un rocher. 

Olivier, entra la position de destination sur son GPS et détermina la voie à emprunter au centre des Pyrénées.

— C’est fait Roland. Je vais te guider.

Des arbres, des rochers, des montées. Parfois les chevaux peinent et il faut faire des haltes. Olivier donne des indications pour ne pas trop dévier du chemin théorique qu’il a fixé. A part quelques oiseaux qui s’attardent, tous les petits animaux fuient en entendant le bruit des sabots qui soulèvent aussi des nuages de poussière. Un éclaireur prend de l’avance. Il observe avec attention tout ce qui bouge, essayant de voir s’il n’y a pas quelque ennemi caché sur le parcours. Non, en dehors de quelques forêts, c’est désertique partout. Parfois on s’arrête près d’un ruisseau pour abreuver les montures, sans oublier de chasser de temps en temps quelques gibiers.

Après une longue chevauchée durant trois jours dans les montagnes des Pyrénées, sans rencontrer âme qui vive, Roland et ses soldats rejoignirent Charlemagne quelque part dans le Roussillon. Le plan du leurre fonctionna à merveille. Le roi Marsile, ne possédant pas de drones, avait envoyé quelques éclaireurs qui, tout en se tenant un peu éloignés de ce qui ressemblait à un camp, conclurent que les guerriers se cachaient, tant la position semblait immobile, et qu’il y avait bien là un millier d’hommes armés avec leurs lances. De loin, ils reconnurent un bataillon d’armures et des tentes. Ils étaient à environ deux ou trois milles du campement, mais c’était suffisant pour se faire une idée et ils ne voulurent pas prendre le risque de se faire capturer en allant plus loin. Ils rebroussèrent chemin et allèrent porter la bonne nouvelle à leur chef. De retour auprès du roi, ils décrivirent ce qu’ils avaient vu, en enjolivant, de telle sorte que le roi fut convaincu que l’arrière garde de Roland se trouvait bien là. Dès le lendemain, il partit livrer bataille. Très vite il comprit qu’il avait été trompé. Pensant que Roland allait passer par les ports de Cize en prenant une autre direction, il s’y rendit sans perdre de temps. En cours de route, il rencontra des Vascons qui prétendaient que Charlemagne et ses soldats étaient passés par là, mais cela faisait plus de quinze jours. Par contre, ils n’avaient pas vu passer l’arrière garde de Roland.

Enfin, Roland, Olivier et leur armée arrivèrent à Aix. 

— Ganelon m’avait dit que tu étais mort, Roland, dans une bataille que tu avais dû livrer en franchissant les Pyrénées ! Par la suite, j’ai été perturbé par ce SMS où tu semblais dire que tu avais bien franchi les Pyrénées. Je n’en reviens pas ! Tu as donc battu les Sarrasins ? Ganelon a encore essayé de nous jouer un tour. Sa trahison n’a pas fonctionné et maintenant, c’est lui qui est victime d’une ruse. Quel bonheur de te retrouver Roland ! La bataille a dû être rude, bien que tu ne sembles pas avoir subi des pertes importantes. Quelle joie que tu aies combattu et remporté une victoire ! Tu es le plus grand de mes chevaliers.

— Euh… Euh… Je dois vous dire qu’il n’y a pas eu de bataille…

— Quoi ? Tu as réussi à franchir les Pyrénées sans rencontrer les païens ?

— C’est-à-dire, j’ai vu que nous avions devant nous une armée conséquente, bien plus importante que la nôtre et j’ai vérifié avec nos appareils leur position. Ils avaient bien piégé le passage. Alors, j’ai utilisé une stratégie de guerre différente. J’ai transformé le camp en un leurre avec de faux soldats et je suis parti dans une autre direction la nuit, ce qui m’a permis de franchir la barrière des Pyrénées centrales sans coup férir. C’est pour cela que je suis vivant à cette heure-ci.

Charlemagne hésita. 

— Je te félicite Roland d’avoir mis en œuvre une telle stratégie. Je suis fier de toi, mais je ne veux pas maintenant que tu sois considéré comme un fuyard, comme quelqu’un qui a refusé le combat… Le pire des outrages !

Charlemagne réunit son conseil avec ses seigneurs. La réunion fut houleuse. Certains estimant que Roland avait manqué à son honneur en refusant la bataille, d’autres que sa ruse pouvait être considérée comme un fait d’arme. 

— C'est sans conteste une bonne stratégie, conclut Charles. Roland aura d’autres occasions de montrer son courage dans les batailles à venir.

Dans les Conseils qui suivirent, Roland ne parla plus. La situation en Espagne se stabilisa. Charlemagne renonça à ferrailler sur ce territoire, occupé à d’autres conquêtes. Roland retourna sur ses marches de Bretagne et sa carrière de chevalier se termina là. Il entreprit des tournées dans les écoles militaires où il enseigna l’art de la guerre et bien sûr la stratégie du leurre. Il mourut dans son lit, d’une grippe terrible, à l’âge de quarante et un ans.