Note utilisateur: 5 / 5

Etoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles actives
 

 

 

 

Synesthésies

Copeaux de voix semés,
Éclats au vent soufflés,
Dans le temps, une trêve.
Une perle de sève
Peint cent cœurs sur la toile ;
Murmures au creux du voile
Que nous tend l’horizon.
Rousse braise au tison.
 
Couds, danse sacrale des vents,
Couds des effluves au levant.
Tendres hôtes en la demeure
Où vos parfums jamais ne meurent.
Aiguille où glisse le soleil,
Tapisse l’antre de vermeil.
 
Le duvet entrouvert
Prend tes dons, Terre Mère,
Dans un doux lit de lèvres.
Sous la langue langées,
Tes couleurs vendangées
Ruissellent comme fièvre.
 
Sous les bras des géants,
Clé de voûte des cieux
S’étreignant et priant,
Vogue une rosée d’yeux.
Sous des senteurs ocrées
S’anime l’assemblée
Aux manteaux de forêt
Insufflés de cent rais.
Un vibrant bal ailé
S’élève et vient sacrer
Ciel et Terre en baiser.
Chant de larmes nacrées.
 
Mains dans mains, cœur dans cœur,
Sans corps, deux voyageurs
Oublient que pleut l’hiver
Lorsque flambent leurs airs.
Veinules des mains jointes,
Touffes d’offrandes ointes,
De leurs bras aux vingt branches
Jusqu’au loin ils s’épanchent.

 

Valses en pas de trois

Je puise au fond du gouffre
De ton œil en éclipse
J’en remonte des ombres
Au creux de ses mains
S’effeuille un cœur ouvert
Dont les veines sont d’encre
De longs doigts brodent
Sur les courbes et les cordes
L’instrument soupire
Le carillon frissonne
Au défilé vaporeux des gisants
L’ombre blanche d’un absent
Noire dans une robe blanche
Corps qui danse en brèves et longues
Sur des touches blanches et noires – femme piano
Devant l’orchestre sur la scène
Monter de l’âme
La première marche vers le ciel
Encre noire des notes
Attachées au violoncelle
Ancre au fond de la mer
Le noir tissu du ciel
Grignoté de mythes
Laisse pleuvoir la lumière
J’insufflerai la feuille
Ta peau – la mienne
De mon crayon caresse
Tu montes embraser son froid visage
Mais au bout de la pique
C’est la lune seule que tu embrasseras
Lèvres de lait, regard de miel
Ô Terre promise
J’ai oublié que j’étais morte
Un vieux chêne
Tend ses vingt bras tordus
Vers la lune – trop parfaite pour lui
Sur la fente
Où se réchauffent ciel et terre
Je ne vois que l’amer à boire
Un sillon ancré dans le sable
Jusqu’à la prochaine pluie
Déchiffrement infini
Je suis une cage de verre
Je fuis une rage de fer
Je vis les âges dans ma chair
Un visage froissé
Un sourire crénelé
Vieille tour
Sur le seuil de l’huis
Un faisceau
De branches dépecées

 

 

Fuite au désert

Grince le vent sur la dune,
Grimpe le vent vers la lune,
Crisse le vent sous la main brune.
Pince le vent, pince
                                             le sable
Comme un tissu ocré que
                                             le souffle
Froisse, sabre et défroisse au fil du soir.
 
De longs doigts plus striés que les étendues d’or
Tantôt vont et viennent le long des cordes,
Tantôt battent la croupe dure de l’instrument,
qui abandonne au ciel ses mélodies
                                             mourantes.
Boîte martelée, crie la crainte et la douleur
Dont sa boîte crânienne a vibré.
 
Flux et reflux de la vague
Sous sa peau burinée,
Sous ses couches de chair devenues si pierreuses,
Crescendos,
Accalmies,
Halètement de sa musique
                                             tremblante.
 
Et pourtant, elle galope dans son cœur
Et vers la ligne infinie,
Lit
Où se lient
L’au-delà
Et l’ici-bas,
Fente sanguinolente où le soleil naît et s’écrase.
 
Le bois orné du luth, aussi tatoué
Que son long visage hâlé,
Frémit sous la mélodie.
Un chant sans parole,
Chant prostré, chant lancinant, méditatif
Gorgé de cascades jamais versées :
Il pleut
              dans l’âme
Faute de larme en l’air aride.
 
Un pli
Tord à peine quelques secondes les lèvres épaisses lorsque
La bise en coup de fouet
Cingle sa face.
Mais elle inspire cette frappe,
Elle en nourrit plus violemment encore
            son hymne.
 
Assis,
Enraciné au creux des mains cuivrées du désert,
Le corps immobile se laisse irriguer par les notes :
Arbre insufflé soudain d’une sève nouvelle.
Pas un mot.
 
Et pourtant elle parle
A la terre et elle sait
Qu’elle parlera à ses frères, à ses sœurs,
Au sortir de l’exil.
Leur chanter ses pensées,
Leur jouer ces harmonies qui pansent
                                                              ses plaies.
 
Le croissant immaculé la regarde depuis le ciel.
Un croissant laiteux qui renie.
La lune roussie incendie sa joue,
Les pans du voile dansent
                                           et claquent tels d’épais volets de bois
Autour de la statue enserrée dans ces drapés marbrés.
Le vent soulève le tissu, qui de son ombre
Grillageait deux larges yeux de miel.
 
Ils ont bu la lumière, ils donneront à boire.
 
 
Crédit photo : François Leylavergne
https://www.francoisleylavergne.com