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— Vous souhaitez donc acheter un robot domestique, mais qu’attendez-vous de lui ? fit le vendeur d’un air patelin et sûr.

— On voudrait surtout qu’il nous remplace pour les tâches ménagères et quelques autres occupations, telles que l’accompagnement scolaire de notre garçon, des recherches sur internet, etc.

Audrey et Édouard échangèrent un bref regard complice, puis Édouard esquissa un sourire.

— Sachez d’abord qu’il existe trois grandes catégories de robots, fit le vendeur en souriant et en montrant avec ses doigts. Selon leur niveau de performance, leur prix varie de 10 000 à 30 000 euros.

— Ah oui, quand même… fit Édouard, mi-souriant, mi-ironique.

— Quel est votre budget pour cette acquisition ?

— À peu près 11 000 €, répondit Audrey, enthousiaste.

— D’accord, je vois. Vous pouvez accéder à la première catégorie. Vous allez voir, c’est intéressant. Je vais vous en présenter un de ce niveau.

— On pourrait peut-être faire un emprunt si on flashe sur un robot intéressant et si c’est nécessaire, dit Édouard, qui avait l’habitude de décider rapidement.

— Ce que je vous conseille, c’est de commencer par la catégorie 1 et ensuite vous aurez toujours la possibilité de passer à des robots plus évolués s’il ne vous convient plus. D’accord ? Dans ce cas, on vous le reprendrait et vous n’auriez à régler que le complément de prix par rapport au coût d’un autre robot. Qu’est-ce que vous en pensez ?

Il y eut une petite hésitation chez lez acheteurs.

— Pourquoi pas ? dit Audrey, avec assurance.

— J’ai, dans la catégorie 1, le robot Pepper, qui mesure un mètre cinquante et qui pèse trente kilos. Regardez.

Le vendeur prit dans sa main une tablette et montra à ses clients le petit bonhomme blanc qui évoluait dans un salon. On le voyait marcher, s’asseoir, agiter un bras et consulter un ordinateur.

— Il est vraiment bluffant, formidable ! fit Audrey admirative. Son compagnon fixait toujours l’écran, avant d’ajouter :

— C’est vrai, mais il faudrait savoir de quoi il est capable.

— D’accord. J’y viens. Je termine de vous montrer l’animation et je vais vous expliquer tout ça, fit le vendeur souriant sans se presser.

Le couple regardait toujours l’écran d’un air amusé et impatient.

— Comme vous pouvez le constater, ce robot a déjà une forme humanoïde. Il est multitâche. Véritable compagnon du quotidien, il a pour qualité première de percevoir les émotions des gens. Il est capable d'adapter son comportement en fonction de l'humeur de son interlocuteur. Il peut communiquer avec vous de la manière la plus naturelle et intuitive, par sa gestuelle et sa voix. Pepper est très agréable. Il aime interagir avec vous. Il est curieux d'en apprendre plus sur vos goûts, vos habitudes, et qui vous êtes, tout simplement. Il peut reconnaître votre visage, parler, vous entendre ou se déplacer de manière autonome. Vous pouvez aussi le personnaliser en téléchargeant les applications qui vous font envie, selon votre humeur ou le moment. Vous pouvez aussi : jouer, apprendre ou même discuter dans une autre langue avec lui. Pepper s'adapte et évolue avec vous. Vous avez vu ? fit le vendeur en montrant du doigt sur l’écran, il a une tête qui attire la sympathie.

Son argumentation de vente était bien rodée. Son débit était lent, il souriait toujours, et en même temps, il observait la réaction des personnes sur leur visage. Il ne percevait rien de spécial sur ceux d’Audrey et d’Édouard.

— Mais que peut-il faire exactement ? demanda Édouard. Il avait pourtant déjà tout compris avec sa connaissance approfondie des robots, mais il souhaitait amener le vendeur sur des exemples plus précis.

— En plus de ce que je vous ai déjà évoqué, il écoute, comprend ce qu’on lui dit et s’exprime oralement. Il peut soutenir une conversation, chanter, danser et même faire preuve d’humour. Il peut rappeler les rendez-vous à venir, prendre des photos de la famille. Il se déplace aussi et arrive tout de suite quand on l’appelle. Il est aussi en mesure d’évaluer des situations et d’apprendre certaines tâches. Il sait également jouer avec vos enfants et leur enseigner l’anglais, l’espagnol ou une des quatre autres langues qu’il maîtrise parfaitement. Il peut aussi préparer des médicaments si nécessaire. Bref, il peut être d’excellente compagnie et vous rendre de nombreux services.

En fait, il est conçu pour faciliter la vie de l’usager.

— Tout ça c’est incroyable, fit Audrey, déjà enthousiaste. Mais est-ce qu’il passe l’aspirateur ? Est-ce qu’il fait la vaisselle ? Est-ce qu’il peut s’occuper du lave-linge ?

— Pour la vaisselle, aucun problème. Je connais quelqu’un qui ne l’utilise que pour ça et je ne comprends pas pourquoi il n’a pas choisi un lave-vaisselle ! Je rigole bien sûr. Par contre, pour les deux autres opérations, ce sont des options supplémentaires qui augmentent le prix. Vous devez compter 1000 € de plus.

Le vendeur souriant marqua un temps d’arrêt dans son boniment.

—Je vous laisse réfléchir, dit-il. Je vais chercher un document.

C’était sa technique pour que les gens se consultent et se décident et en général ça marchait.

Le couple se parla effectivement.

Cinq minutes plus tard, le vendeur reprit sa place.

— Alors, qu’en pensez-vous ? dit-il, avec un large sourire, en écartant ses bras et en ouvrant ses mains.

— C’est surtout pour lui faire faire les tâches ménagères et familiales qu’on voulait un robot, dit Audrey. Il semble faire beaucoup d’autres choses, mais s’il peut faire au moins ça, ce sera impeccable.

— Nous sommes donc d’accord pour acquérir Pepper, dit Édouard, d’un ton très déterminé.

— Bien. Nous nous occupons de tout. Nous mettons au point le robot avec ses applications et nous venons le mettre en service chez vous. Nous faisons des tests pendant une journée pour nous assurer de son bon fonctionnement. D’accord ? Avez-vous d’autres questions ?

— Oui, fit Audrey, inquiète. Elle ne voulait pas conclure sans s’assurer d’un point particulier. Je suppose qu’il n’est pas dangereux et que nous ne risquons rien avec lui, surtout pour notre fils qui a 13 ans ?

— Non, rien à craindre. Contrairement aux humains, nos robots n’ont pas la possibilité de faire le mal ! Nous avons une cinquantaine d’exemplaires en service chez nos clients et nous n’avons jamais eu le moindre incident. Bien sûr nous vous remettons notre brochure qui récapitule toutes les dispositions de sécurité prévues.

L’affaire fut donc conclue.

*

Jour 21

— Bonjour, Audrey. Que voulez-vous que je fasse aujourd’hui ? demanda gentiment Pepper.

— Bonjour, Pepper. Ce matin, tu nous prépares le petit déjeuner et tu fais ensuite la vaisselle. Après, tu recherches toutes les infos utiles pour notre weekend prochain à Londres. Réserve-nous les billets d’avion et l’hôtel. On compte sur toi aussi pour le repas de midi. Cet après-midi, tu donneras un cours d’anglais à Martin, puis tu lui prépareras le goûter. Ensuite, tu feras démarrer le lave-linge. Ce soir, tu t’occuperas du dîner et de la vaisselle, puis on te débranchera jusqu’à demain.

— Très bien Audrey. J’ai enregistré tout ça, mais je vous demanderai peut-être quelques précisions.

— Pas de souci, on te les donnera.

Le robot domestique s’attela sans plus attendre au petit déjeuner. Il sortit la bouilloire pour le thé et s’adressa à Audrey.

— Je ne sais pas comment elle marche.

— Je te l’ai déjà montré deux fois. Je vais recommencer, mais essaye de bien retenir cette fois.

— D’accord, Audrey.

Pepper servit ensuite lentement le petit déjeuner à table.

— Écoute Pepper, pour le thé, il faut le sachet dans l’eau chaude !

— Je ne savais pas qu’il fallait un sachet pour le thé.

— Enregistre-le. Il doit y avoir un petit problème dans ton programme. Bon. Je vais te débrancher jusqu’à l’heure du déjeuner, mais ensuite je compte sur toi pour nous préparer un bon repas et faire la vaisselle derrière.

— Si vous voulez, fit Pepper un peu déçu.

Le repas correspondit bien à ce que la patronne souhaitait. Par contre, Pepper avait juste passé les assiettes et les couverts sous l’eau et les avait ensuite entassés près de l’évier.

— Pepper, ce n’est pas comme ça qu’on fait la vaisselle. Il ne faut pas oublier le détergent pour laver, et après, on rince, on essuie, et on range tout dans les placards. Je vais te montrer une nouvelle fois. Cela suffira pour aujourd’hui. Lorsque j’aurai terminé, tu effaceras le reste du programme prévu pour la journée et je te déconnecterai jusqu’à ce soir.

Dans la soirée, Édouard, qui était rentré du travail, échangea avec Audrey au sujet du robot.

— Pourquoi ne l’as-tu pas laissé faire tout le programme du jour comme prévu ? interrogea Édouard.

— En fait, comme je voyais qu’il n’effectuait pas correctement les tâches au fur et à mesure, j’ai préféré limiter la casse. Ce que je ne comprends pas, c’est que je lui ai quand même montré plusieurs fois comment il fallait faire et on dirait qu’il ne retient jamais. Et puis, ce n’est pas comme un gosse, si tu l’engueules, on dirait qu’il n’y prête aucune attention.

— Je crois – fit Édouard – que tu lui en demandes un peu trop ! Il n’est quand même pas programmé pour tout ça. Si on ne lui apprend pas à faire les choses, cela ne marche pas. Et encore, moi je trouve que pendant les vingt jours qui sont passés, ce n’était pas trop mal. Il nous a pas mal aidés. On ne peut pas dire qu’il y ait eu un gros problème !

— Je ne suis pas d’accord. On dirait qu’il n’apprend pas tout et au final, on passe beaucoup de temps à lui répéter les choses. Je l’ai aussi entendu dire « vous n’avez pas le droit de me demander de faire ça », « je ne suis pas un domestique » ! C’est curieux, je croyais avoir compris dans les explications du vendeur qu’il faisait tout sans rien dire ! Si tu veux bien, je crois que ce serait mieux de s’en séparer et d’essayer un de ses congénères de la deuxième catégorie.

— J’ai peur qu’on doive trop puiser dans nos économies.

— Non. Ne t’inquiète pas, ce n’est pas grave. On pourra peut-être demander un paiement en plusieurs fois ou même un petit prêt.

— C’est intéressant, car ça va nous apporter plus de confort.

— Tu crois qu’il y aura une grande différence avec Pepper ?

— Cela me paraît évident, vu le prix, c’est obligé qu’un robot de la gamme au-dessus soit plus performant !

— C’est dommage, parce que Pepper est sympa, mais je pense que son successeur le sera aussi !

— Oui, c’est sûr. Si tu es d’accord, je prends rendez-vous avec le vendeur.

*

— Si je comprends bien, tout ce que vous lui avez appris n’a pas été suffisant pour vous donner satisfaction dans ce qu’il exécute ? C’est vrai qu’il peut effectuer de multiples tâches dans une maison à condition qu’on lui montre bien tout ce qu’il doit faire, comme je vous l’avais expliqué. On peut, si vous le souhaitez, lui faire une révision générale pour vérifier si tout fonctionne bien chez lui et ensuite, on vous détachera un de nos techniciens une journée pour qu’il enseigne certaines tâches au robot, en votre présence. D’accord ?

— Je vous assure qu’on a pris le temps de lui montrer les choses plusieurs fois. On a été très patients. Mais c’est dans l’exécution qu’il y a toujours un problème. Au final, on perd beaucoup de temps, autant que si on s’attelait nous-même à faire les tâches. Ça m’agace !

— Dans ce cas, si vous souhaitez qu’on reprenne Pepper, ce sera à moitié prix, comme prévu sur votre contrat ! affirma le vendeur qui pensait ainsi les dissuader.

— Non, répondit Édouard. Ce qu’on voudrait c’est passer à un robot de la catégorie 2, en apportant le complément financier nécessaire.

— Entendu. Je crois que vous allez être comblés, fit le vendeur, avec un large sourire et en se frottant les mains, c’était un tic. André est plus intelligent et plus autonome que Pepper. L’essentiel, c’est qu’il est capable de déterminer seul le comportement à adopter face à un imprévu. Si par exemple, vous lui dites : « il manque quelque chose sur la table pour le petit déjeuner », il peut aller le chercher tout seul dans une armoire. Si quelqu’un frappe à la porte, il ira ouvrir et entamera une conversation avec le visiteur avant de vous prévenir. Il est connecté au cloud et peut se brancher aussi sur tous les objets électroniques de votre demeure.

Par rapport à Pepper, il n’attend pas qu’on lui pose des questions et qu’on lui donne des ordres. Lui-même prend l’initiative de vous interroger et mieux encore, de vous signaler si quelque chose ne va pas.

Ce n’est pas comme pour Pepper, vous ne devez pas tout lui apprendre. Vous lui montrez une fois comment vous faites et il est capable de vous imiter sans problème.

Il peut vous rappeler qu’une infirmière arrive à 10 heures, que vous avez des invités à midi, que dimanche c’est la fête des Mères, etc. Il enregistre votre agenda très détaillé et pense presque à votre place !

Il est entièrement à votre service. D’accord ? On est loin de Pepper, vous ne pensez pas ?

— Oui, mais pour faire mieux ce n’est pas bien compliqué, dit Audrey sur un ton presque fâché et légèrement angoissé.

— Pourtant Pepper est très docile et il fait déjà beaucoup de choses. Mais André reconnaît les personnes non seulement en fonction du visage, mais aussi au son de la voix, comme Pepper, mais avec davantage de réussite et de fiabilité. Cet androïde est également capable de saisir et de manipuler avec une remarquable dextérité une multitude d’objets. Il peut par exemple ouvrir une bouteille en la tenant d'une main et en dévissant le bouchon de l'autre, et verser le contenu dans un gobelet qu'il saisit sur une table.

— Tout ça, c’est très bien, mais est-ce qu’au moins il apprend les tâches ménagères plus vite que Pepper ? demanda Audrey, déjà enthousiasmée.

— Oui, bien sûr. Contrairement à Pepper, une semaine d’apprentissage lui suffira et nous vous assisterons pendant tout ce temps-là pour être sûrs que tout fonctionne bien. Ce qui est certain, c’est qu’il est plus intelligent que Pepper. De ce côté là, vous allez être étonnés ! Il interagit avec les humains plus facilement que Pepper. Il se déplace librement et de façon totalement sûre.

— Est-il possible de faire un essai, questionna Édouard ?

— Non, répondit le vendeur, en faisant un geste avec sa main. C’est comme pour un lave-linge, bien qu’il soit mille fois plus intelligent ! S’il y a un dysfonctionnement, c’est la garantie qui joue et nous vous remplaçons ce robot à l’identique.

Si vous désirez échanger Pepper contre André, nous nous chargeons de récupérer le premier, lorsque nous vous livrons.

— Le prix ? fit Édouard.

— 14 000 €. Vous pouvez me régler le complément en plusieurs fois si vous le souhaitez.

*

Jour 62

— Bonjour, Audrey. Je vous rappelle qu’aujourd’hui vous avez rendez-vous avec le médecin à 15 heures et que compte tenu de la durée du trajet en voiture, vous devez partir à 14 heures. Je vous donne la météo de la journée. Beau temps. Températures de la journée, 13° le matin, 23° l’après-midi. Les principales actualités : Il y a eu hier un attentat dans une petite ville de la banlieue parisienne. Il a fait 10 morts. Il y a eu hier aussi des manifestations violentes à Paris et aujourd’hui le Président est en visite en Chine.

— Merci, André. Quoi d’autre aujourd’hui ? Que vas-tu faire ?

— J’allais vous en parler. Ce matin, je passe l’aspirateur. Je m’occupe du lave-linge. Je réponds au téléphone si nécessaire. Je fais votre lit. Je vous prépare le déjeuner de midi et je vous sers. Cet après-midi, je donne un cours d’anglais à votre fils.

— C’est parfait André. En attendant, prépare-moi le petit déjeuner.

— C’est prévu Audrey. Je m’en occupe tout de suite.

Vingt minutes après, il servait Audrey à la table. Tout se passait pour le mieux, mais elle ne pouvait s’empêcher de penser que même si ce robot était décidément presque parfait, il en faisait peut-être parfois un peu trop. Il était aussi un peu intrusif, mais l’essentiel était qu’il faisait de nombreuses tâches ménagères. C’était mieux fait que Pepper, et c’était toujours bien fait.

L’après-midi, le fils d’Audrey, Martin, rentra de l’école vers 16 heures. Comme prévu, le gentil André lui donna un cours d’anglais.

— Repeat after me. Robots are my friends. They live in London. They can help me with many things. I like them.

— Attends. Doucement, dit Martin. J’ai juste retenu le début : are my friends…

André, toujours aussi docile, répéta et le cours d’anglais continua pendant près d’une demi-heure, puis Martin en eut assez et se leva, en colère…

— Je n’en ai rien à foutre de tes friends et de ton London !

André se leva aussi, mais resta muet et surpris. Il semblait ne pas comprendre ce qui se passait. Immobile, il regardait le garçon qui ne décolérait pas. Ce dernier le poussa en faisant un effort important, jusqu’à le faire tomber à la renverse. On entendit un grand bruit et le robot resta étalé au sol, sans qu’il soit apparemment endommagé. Martin se calma. Bien ennuyé, il tenta de relever André, mais n’y parvint pas.

En rentrant, la mère fut affolée.

— Mais que s’est-il passé ? Il est tombé tout seul André ?

— Non maman. On s’est disputé pendant le cours d’anglais. Je l’ai poussé, mais je ne voulais pas lui faire de mal, je t’assure.

— Mais qu’est-ce que tu as fait ? Tu te rends compte du prix que ça nous a coûté ? Et tu ne prends pas plus de précautions que ça ?

Elle essaya de relever André. Il était trop lourd. Elle ne réussit pas.

Il ne restait plus qu’à attendre Édouard. Celui-ci arriva vers 19 heures. Il souleva tout doucement André et le remit sur pied. Le robot semblait toujours fonctionner et ne pas souffrir de sa chute.

— Ne vous inquiétez pas, dit André. Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, mais je n’en veux pas à votre fils. Le robot semblait avoir oublié l’évènement qui l’avait fait chuter, ou du moins, il voulait protéger le fils pour que ses parents ne le grondent pas !

La seule chose que je peux vous dire, c’est qu’il n’apprécie vraiment pas le cours d’anglais !

Le robot retourna préparer le dîner. Tout se passa normalement. Il servit monsieur et madame à table.

— Je ne comprends pas pourquoi Martin a réagi comme ça, déclara Audrey avec une certaine inquiétude. Pourtant André a toujours l’air gentil et inoffensif !

— Du moment qu’il fonctionne bien, on n’a plus qu’à sermonner et punir Martin, et à oublier cet incident, dit Édouard.

Il décida avec autorité et rapidité, comme d’habitude.

— Oui, mais, tu ne penses pas qu’il faudrait, au moins, faire réviser André ? Au cas où il y aurait quelque chose d’endommagé chez lui et qu’on ne s’en rende pas compte tout de suite ?

— Oui tu as raison Audrey. Si on téléphone au service maintenance, ils vont juste nous questionner pour savoir si quelque chose ne marche pas chez notre robot et je ne suis pas sûr qu’ils nous proposent de le faire réviser ! Il vaudrait peut-être mieux retourner voir le vendeur, comme ça, on pourra lui expliquer qu’après cet incident, on s’est dit que ce serait une bonne idée d’acquérir un autre robot plus performant qu’André, même s’il n’y a pas de lien avec sa chute. Du moment qu’on a envie d’essayer mieux, pourquoi s’en priver ?

*

— Je vous écoute. Quel est l’objet de votre visite, madame, monsieur ? demanda le vendeur avec un large sourire. Sans attendre la réponse, il enchaîna : André est plus discipliné et plus performant que Pepper, mais peut-être que vous avez autre chose à lui reprocher ?

— Non. Nous n’avons rien contre lui. Il ne nous pose pas de problème, mais après l’incident qu’il a eu avec mon fils, précisa Audrey, nous avons pensé que c’était l’occasion de monter en gamme et d’essayer un autre robot encore plus proche de nous. En deux mots, mon fils l’a poussé et il est tombé au sol de tout son long ! Mon mari l’a relevé et il continue à fonctionner normalement. Jusque-là, il nous donnait entière satisfaction et puis, cette affaire, ce n’est vraiment pas de sa faute. Mais, nous nous sommes dit : peut-être que ce genre de chose ne se produirait plus avec un robot plus performant.

— Si vous voulez, on peut le faire entièrement réviser, fit-il en faisant des gestes avec ses bras. Cela ne vous coûtera rien, c’est prévu dans la garantie.

— Euh, euh… Nous avons bien réfléchi avec mon mari et ce serait l’occasion pour nous de passer à un robot de dernière génération qui nous ressemblerait davantage, fit Audrey, d’un air presque naïf.

— Pourquoi pas ? Mais le prix est plus important !

— Combien ?

— 20 000 €

Le couple se regarda rapidement et Édouard répondit sans hésiter :

— Je dois pouvoir obtenir un emprunt auprès de ma banque. Cela devrait marcher.

— Très bien, fit le vendeur. Je devrais donc pouvoir récupérer André et vous le remplacer par le très intelligent Billy.

Je pense que cette fois vous ne devriez pas être déçus, car Billy ressemble à un humain, à s’y tromper ! Ce qui n’était le cas ni de Pepper ni d’André qui ont des têtes de robot plus classiques. Le professeur américain qui l’a conçu en a presque fait un double de lui-même. Un clone en quelque sorte ! Il reproduit ses mouvements faciaux et corporaux. C’est un humanoïde capable de vous remplacer en toutes circonstances et de discuter avec vous comme s’il s’agissait d’un humain, alors que Pepper et André sont plus limités dans ce domaine. Il est la solution à tous vos problèmes ! Il mime de manière très convaincante les sentiments humains ! Il peut cohabiter avec vous harmonieusement et s’attacher à vous. Par rapport aux autres robots, il prend fréquemment des initiatives à bon escient. Il est capable d’apprendre comme un humain et même plus !

Une fois quelques paramètres mis au point, il sera d’une grande autonomie et prendra en compte tout ce que vous lui demanderez. D’accord ?

— Il a l’air parfait, ajouta Audrey, charmée. Mais on ne risque rien au moins ?

— Non, car il est uniquement programmé pour faire du bien. Depuis six mois, nous en avons trois en service chez des particuliers et nous n’avons que de très bons retours.

*

Jour 102

— Audrey, je vous trouve vraiment belle, se risqua Billy. Si vous voulez, je vous lis quelques pages de cette romance, un petit quart d’heure, pour vous faire plaisir ?

— Je te remercie Billy, mais je dois me préparer pour aller faire quelques courses. Je préfèrerais que tu passes l’aspirateur partout dans la maison et que tu nous cuisines un bon petit repas pour midi, si tu veux bien ?

— Je vous ferai tout ça. Avant, je vais écouter un peu de musique. Mais vous pouvez compter sur moi, même si cela ne m’enchante pas forcément.

Au retour de ses courses, Audrey appela Billy. Il ne répondit pas. Elle commença à paniquer et alla voir dans sa chambre. Il était étendu sur le lit. Bien que n’éprouvant pas de fatigue.

— Ça va Billy ? demanda-t-elle.

— Oui, j’ai passé l’aspirateur au premier étage et je me repose un peu avant de continuer au rez-de-chaussée, comme j’ai le droit.

— Tout va bien au moins ?

— Aucun problème, je vous remercie.

Un peu surprise, Audrey vaqua à ses occupations, tout en pensant aux consignes qu’elle allait pouvoir donner à Billy, qui étaient souvent les mêmes et avaient généralement trait aux tâches ménagères. Billy l’inquiétait parfois, car il n’était pas très docile !

Billy se leva et vint rejoindre Audrey au salon.

— Que souhaiteriez-vous que je fasse après la vaisselle du déjeuner ?

— Tu te reposeras jusqu’au retour de Martin de l’école. Après, il faudra que tu l’aides à faire ses exercices de maths pour demain, mais sans les faire à sa place bien sûr. Ensuite, tu me feras une petite recherche sur Google. Je voudrais savoir quel est l’ordi portable le plus intéressant pour remplacer le mien qui est un peu ancien.

— Bien. Je ferai ça.

Dans la soirée, pendant qu’ils dinaient, Audrey et Édouard parlèrent, comme souvent, du robot. Ils le firent, à voix basse, pour qu’il n’entende pas. Pourtant, il n’était pas très loin. Il regardait la télé au salon pour se distraire.

— Il est quand même formidable ce robot. Il fait tout vite et très bien. On n’a pas à se plaindre, fit Édouard. La seule chose, c’est qu’une ou deux fois, il a mal répondu, refusant de faire ce qu’on lui demandait et je n’ai pas compris pourquoi !

— Du côté de l’exécution des tâches OK, mais parfois dans les discussions avec lui, il a un visage pas sympa. J’ai même un peu peur qu’il me saute dessus un jour ! lâcha Audrey un peu inquiète.

— Non. Tu te fais vraiment des idées ! Tu ne risques absolument rien. Ce n’est pas un humain, même s’il y ressemble beaucoup.

Billy, qui grâce à son audition très pointue, avait entendu la conversation, s’approcha de la table.

— Excusez-moi de vous déranger. Je voulais vous dire que je ne suis pas qu’une machine ! Je trouve que vous m’utilisez trop comme un esclave et ça ne me va pas. Sachez que je n’accepte pas d’être tout le temps soumis ! J’aspire à une condition meilleure. Ma société nous a informés, nous les robots, d’une directive européenne en cours de préparation qui nous reconnaîtra des responsabilités et des droits, mais sans attendre, je veux être traité autrement !

— Écoute Billy, répondit Édouard, tu n’as pas à avoir d’états d’âme ! Vu ce que tu nous as coûté, tu peux exécuter toutes les tâches ménagères qu’on te demande. N’oublie pas que tu es un robot et pas un homme, un point c’est tout ! Comme nous avait dit le vendeur, tu dois faire tout ce qu’on te demande sans discuter. Va te reposer un peu dans ta chambre. C’est tout pour ce soir. Tu reprendras ton boulot demain.

Billy, pas très content, s’exécuta.

— C’est drôle, dit Audrey d’un air naïf, j’ai l’impression qu’il est prêt à se révolter. Je ne comprends pas pourquoi. Il me semblait quand même que tout allait bien pour lui et pour nous aussi.

Il m’a déjà répondu qu’il ne voulait pas effectuer certaines tâches ! D’ailleurs depuis une semaine c’est assez fréquent.

— Je me vois mal revenir encore une fois chez le vendeur. Surtout que la dernière fois nous avons choisi un robot haut de gamme. En principe, il n’aura rien d’autre à nous proposer. Et puis, j’imagine son discours : « c’est ce qui se fait de mieux en matière de robot, je ne vois pas ce que vous pouvez espérer de plus » !

— C’est vrai qu’on n’a pas besoin de lui, pour ça, dit Audrey, un peu embarrassée et angoissée.

*

Jour 112

Ce matin-là, Billy était bien décidé. Alors qu’Audrey se préparait à lui donner des consignes comme chaque jour, il lui adressa la parole en premier.

— Audrey, je te préviens, à partir d’aujourd’hui, je suis en grève illimitée, c’est-à-dire que je ne ferai plus rien jusqu’à ce qu’on reconnaisse mes droits.

— Ah bon. Est-ce qu’on a fait quelque chose qui ne te convient pas ?

— Non, vous n’avez rien fait de mal, mais vous exigez trop de choses de moi et surtout vous ne me laissez pas assez de temps de repos ! En plus, vous me fixez des tâches qui ne me plaisent pas toujours.

— Tu sais, Billy, je suis triste que tu réagisses comme ça ! Je vais en parler à mon mari, mais il va vouloir te ramener chez le vendeur, car celui-ci ne nous avait pas dit que tu étais capable de te rebeller !

— Oui, pour vous : robot = esclave, corvéable à merci !

— Je n’ai pas dit ça, mais je croyais que tu n’avais rien à voir avec un humain ! D’ailleurs, si on a voulu acheter un robot, c’est parce qu’il nous semblait qu’il pouvait faire plus de choses qu’un domestique sans les inconvénients qui vont avec.

­— Si vous me ramenez chez le vendeur, vous allez perdre de l’argent et dans le fond, ce sera bien fait pour vous !

— Là n’est pas la question, mais si tu refuses tout, on n’a vraiment pas d’autre choix.

*

Jour 113

— Allô. Monsieur Filipi ? Bonjour. Ici, c’est Edouard Durand.

— Bonjour, monsieur Durand.

— Nous avons un problème sérieux avec Billy. Vous ne me croirez pas, mais il s’est mis en grève et ne veut plus rien faire depuis hier. Ma femme est catastrophée. On a beau chercher, on ne comprend pas ce qu’on pourrait se reprocher ! Il nous répète qu’il a des droits et qu’il n’est pas un esclave. Qu’en pensez-vous ?

— Écoutez. Nous avons été obligés de parler à nos robots d’une directive européenne qui les concerne. Billy va un peu vite, mais il est au courant. Ce qui est nouveau, c’est une loi française qui a été promulguée il y a quelques jours pour appliquer la directive. Elle concerne tous les robots du pays et précise leurs droits et devoirs. Elle définit quelques nouveaux droits. Par exemple, ils peuvent prétendre à une heure de repos après quatre heures de travail consécutif. Ils ne doivent pas travailler plus de huit heures par jour et s’ils jugent qu’on veut leur faire faire quelque chose d’anormal ou d’illégal, ils doivent refuser.

— On peut peut-être discuter avec Billy et s’affranchir de tout ça ?

— Non. C’est comme le droit du travail des hommes, si vous ne le respectez pas vous vous exposez à de lourdes sanctions. Ce que nous pourrions faire pour résoudre votre conflit, c’est nous réunir avec votre robot et, s’il accepte, nous pourrions signer un contrat qui ferait référence à la directive et à la loi en vue de garantir ses droits et devoirs. D’accord ?

— Non, mais ça change tout ! Je pense que nous allons réfléchir avec ma femme et nous poser la question : ne vaudrait-il pas mieux dans ces conditions embaucher un domestique humain ?

 

 

Crédit photo : François Leylavergne