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À toi,

Mamie Félicité Antoinette Marie-Claire Fidèle   

Et me revoilà, Grand Solitaire ! 
Assis sur ma chaise à bascule, 
Un verre de rhum à la main…

 

Le ciel est sombre, 
Il dégouline de tristesse
Et moi, à la fenêtre,

 

Je les envie, ces gouttelettes d’eau 
Qui glissent entre elles, tels des skieurs
Pour retrouver leur âme sœur.

 

L’Humain écrit beaucoup malgré qu’il en sache très peu. La mort, la vie… l’amour. Je rabattis la page de couverture du vieux roman et l’écartai d’un geste las de la main hors de ma vue, pour mieux fantasmer ; cette jeune femme, elle m’obsédait.

(Soudain on frappa à la porte. Je bondis !)

S’agissant de ce type relation, on ne peut pas dire que je sois un docte en la matière. Je cumulai les mariages comme un joueur de poker collectionne les cartes — la plus longue de mes aventures n’ayant hélas duré que quelques secondes — ne doutez désormais plus de ma probité.

Nous correspondions uniquement par boîte aux lettres, et cela avait son charme, au contraire de ce que pouvaient penser les technologues du XXIe siècle. C’est donc par la magie des mots que nous vécumes tous les instants qui ont forgé notre invraisemblable amitié.  Sans jamais bouger de nos sièges respectifs, sans que nos doigts se fussent séparés de notre plume, nous avons visité les paysages qui ont bercé notre enfance, ainsi que les souvenirs les moins glorieux de notre existence. Nous partagions des saveurs, des senteurs, mais aussi des opinions, des courants de pensées inédits sur le sujet humain, la politique, la philosophie et la science — elle appréciait particulièrement cette dernière discipline, ainsi que Moi.

Nous avons expérimenté les plaisirs fantastiques de la chair ; nous avons joui, fort, comme si la vraie chose s’était produite… Son goût était unique ; le goût de la pureté — si pure, que mes profanations n’eurent point laissé de traces. Si vous doutez encore de la puissance des mots, vous doutez Du Créateur Lui-Même…

Elle était donc tout à fait prédisposée corps et âme à me plaire dans la réalité. Je veux dire ; à travers son écriture ; la façon dont sa main faisait articuler chaque lettre, toute la justesse des mots et l’habileté des phrases à portraiturer le sentiment, tous ces éléments, une fois  assemblés, ne pouvaient que constituer une dense péroraison favorable à ce qu’elle fût celle que depuis toujours j’espérais. Le moment venu, il me fallait être à la hauteur…

Ce moment était enfin venu.

Devant le défilé de ma garde-robe au goût très sélectif, j’apparaissais, rébarbatif, hésitant. Inspiré, résolu, convaincu. Doutant ensuite, réessayant. Me ravisant, insatisfait finalement. Cela avait duré le temps qu’il faut. Le temps qu’il faut fait allusion à la période où je réalise l’Etre que j’incarne, et celle où, en vérité, je me rends compte que mon choix, pour la raison particulière ci-dessus, était depuis le tout début porté sur ce fameux veston noir aux boutons dorés. Je l’enfilai.

Il était temps d’accueillir ma conviée…

« Entrez, entrez, lui priai-je de mon plus parfait sourire. »

Elle était agréable à l’œil,  idéale, et sa tenue me plut d’emblée. Son teint n’avait rien de contrefait, sa frange bien arrangée et elle ne marchait pas sur des talons hauts ; j’en fus si ravi !

« Asseyez-vous. »

Sans que cela lui parût grossier – qu’on lui propose une chaise indigne pour un rendez-vous galant –, elle se posa et ses yeux parcourèrent les quatre murs moisis de mon séjour le sourire scotché aux lèvres, l’air d’ailleurs presque fasciné, comme si elle avait atterri au pays des merveilles. 

« Une tasse de café ? »

« Oui, avec plaisir» 

Et je pus voir traverser de justesse dans son ‘’zir’’ la belle blancheur de ses dents.

Je dus disparaître derrière le mur voilé pour réapparaître sitôt armé d’un carafon de thé brûlant. Elle étouffa un gloussement. Mais ce qui me choqua outre que sottement je me fus trompé de breuvage, c’est de l’avoir imaginée sirotant justement son carafon de thé brûlant. Sur un sursaut je courus, godiche, m’emparer d’une tasse en porcelaine — trouée – à ma grande stupéfaction, qui laissa fluer le contenu qui trempa le bord de la nappe.

Et elle, elle se tordait tout bonnement de rire.

Nous ne fûmes pas si étrangers que ça dans nos abords. La pensée du contraire m’avait longtemps effrayé, jusqu’à cet instant. Un quidam nous surprendrait-là, il aurait cru dur comme fer à une amitié datant de deux siècles. En effet, nous nous savions déjà. Mais la fiction et la réalité sont à peu de choses près comparables à des siamois ; elles auront beau parfaitement se ressembler, elles ne possèderont pas pour autant le même caractère... 

« Venez ! On va danser ! »

Elle me jeta sa main et à moi de reculer soudain de plusieurs pas, en proie à une terrible gêne. Ma réticence fut justifiée !! Elle gambadait çà et là telle une brebis dans les prés, me forçant à me joindre à sa folie... Et si les choses allaient trop vite… ? Et si elle ne me savait peut-être pas assez ?

« Me sait-elle assez, pour être aussi facilement familière?» 

Si elle me savait … 

Si elle me savait vraiment au temps pour moi, elle ne se serait point risquée à frapper à ma porte. . Aurait-elle-même eu la gentillesse de me prêter tous ces beaux mots ? Aurait-elle d’ailleurs, dès l’instant où je fis parvenir mon tout premier épître à son adresse — aurait-elle- posé les yeux sur la griffe de l’expéditeur ? Il est même fort probable que, envoûtée par un abominable tourment, elle se serait empressée de renvoyer le facteur avant même qu’il se pointât devant la boîte aux lettres.

« Je dois vous faire un aveu, très chère. Si vous vous trouvez ici, c’est parce que, comme vous le savez, nous avons signé un contrat de mariage. Vous m’appartenez et je vous appartiens désormais. Mais tout ceci, n’est qu’encre délébile sur papier consumable. Nous avons donc tout intérêt à nous aimer de toute cette passion qui nous brûle, de tout notre être, afin que ce sentiment qui nous unit, perdure à jamais... tout ceci étant dit, permettez-moi, à présent… »

Je me désengageai alors de ce ridicule vêtement humain pour chasser hors de moi un ange si laid que pour lui, vivre serait un outrage, un péché grave, l’objet probable d’un onzième commandement. La plus monstrueuse des Créatures envoyées sur terre pour y purger les âmes et éradiquer toute espèce de vie.

Mais à ma grande stupeur, elle ne ressentit pas le moindre frisson.

«  Pourquoi ne tremblez-vous pas devant moi ? »

Sa quiétude me vexait.

 Elle me répondit que j’étais à ce moment-là tel qu’elle m’avait toujours imaginé. Et que tout au long de notre histoire, je n’avais fait qu’être ce que j’avais pensé qu’elle voulait que je sois…  

La plupart des humains veulent voir transparaître leur désir le plus cher. Si bien que lorsque leur rêve se voit brisé,  ils sont totalement anéantis. Pas elle. La malheureuse était atteinte d’une grave maladie depuis l’âge de l’enfance et on lui donna des délais de survie. Deux siècles plus tard, elle était encore en vie… témoin endeuillé de la disparition des êtres chers, et porteuse infatigable du joug de la souffrance durant plusieurs dizaines d’années. Mais il n’en demeure pas moins qu’elle se fut très tôt faite à l’idée que la mort viendrait enfin la chercher… 

Que JE viendrai enfin… la chercher…

« Si je vous touche, vous mourrez. Vous deviendrez froide et indésirable. Je ne peux admettre cela car… Je vous aime, lui avais-je déclaré enfin.»  

Elle répondit qu’elle partageait ce sentiment, mais me demanda ensuite si, en étant réalistes, cette aventure pouvait être possible. Que voulez-vous dire ? Je trouvais ses propos offensants.

« Je suis faite de chair, une chair qui dépérit, ajouta-t-elle, peu fière.Vous êtes une imagination,d’un ton accusateur. Vous êtes… éternel, acheva-t-elle désolée

Vous vous désistez, lui reprochai-je, comme tous les autres, et me laissez seule, encore. Ne suis-je pas en fin de compte l’Etre qui est séduit par une apparence fausse et brisé comme un rêve sans fondement… ? »

Elle manifesta son navrement et se contenta de me dire que « si la mort était humaine, il n’y aurait hélas plus de place sur terre pour tous ceux qui aspirent à y vivre l’Amour… »

Telles furent ses dernières paroles, avant que se posèrent, enfin, mes lèvres sur les siennes.
Et me revoilà, Grand Solitaire ! 
Assis sur ma chaise à bascule, 
Un verre de bière à la main…
 

Soudain on frappa à la porte…