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Il a le visage pointu et les yeux ronds, mais seulement à moitié, de sorte qu’il a toujours l’air de sourire, qu’il a toujours l’air de ne pas être trop malheureux, quand bien même il se plaindrait. Il a un visage pointu, et, avec ou sans les yeux qui illuminent le tout, il a l’air de n’être qu’un enfant. Dans sa voix qui rit sans qu’il n’y puisse rien, dans ses gestes qui ne connaissent rien de l’assurance et de la rhétorique des corps, dans ses jeans lâches et ses pulls qui ne peluchent pas, avec leur ribambelle de motifs nus, chamarrés, flous, froids ou méchants. Des pulls qui crient au monde, aux gens dans le métro et aux serveurs qui lui apportent des Monaco et des 1664 aux terrasses au milieu desquelles il s’esclaffe parfois, pendant les après-midis qu’il se permet encore de perdre, qu’à part quelques heures de sa jeunesse il ne regrette rien encore. Ces pulls qui signifient silencieusement que rien n’est encore advenu, qui érigent discrètement des montagnes et des frontières qu’on ne franchit jamais, même sans le faire exprès, bien que jamais on ne les voit ni ne les sente clairement. Ces pulls qui savent qu’ils cachent un torse jeune et réchauffent une vie qui ne fait que débuter, et c’est vrai que ça, ça les rend particulièrement heureux, et ils s’ornent de mille détails pour le faire savoir, se parent de cent nouvelles nuances de bleu et d’orange pressée pour le signaler aux yeux qui viennent se souvenir sur leurs contours. De ce que sentent les hommes dont il éructe l’acidité dangereuse de la peau il sait tout, pourtant il n’a jamais fait siens ces embruns qu’ils adorent sauvagement, la nuit. De la gravité triste de leurs voix il ne retient que l’ombre des murmures, de leurs crânes qui se déshabillent au fil des jours il répond par la blondeur arrogante et rieuse qui couronne ses yeux électriques. De leurs nuits il ne retient que les ronflements qu’il exècre, auxquels il oppose la musique qui le berce le soir et les rêves qu’il invente. Et, par dessus, comme si c’eut été une nécessité, un sacerdoce, il pose là, riant de cet effet miroir disgracieux, ses pulls immatures qui cherchent, dans les cravates et les manteaux tristes, la promesse d’une nouvelle aube qu’ils savent exclusive. Mais, malgré tout cela, malgré cette jeunesse qu’il enroule autour de son cou comme une de ces énormes écharpes que l’on croise parfois dans la rue et qui nous font rire autant qu’elles nous font envie, malgré cette jeunesse dans laquelle il se vautre largement et qu’il affiche comme un étendard, comme la preuve tangible de l’une de ces victoires grandiloquentes qui achèvent les guerres qui n’avaient pas lieu d’advenir, malgré ses yeux qui rient et ses lèvres qui se souviennent de temps qu’il n’a pas connus, malgré tout ce qu’il oppose aux hommes, tout ce qui le protège de la vieillesse qu’il abhorre, malgré tout cela il ne peut cacher sa taille et la vie qu’il mène dont il n’a pas de prise sur les velléités, et lorsqu’il s’assoit sur mon canapé ses jambes dépassent tant, ses épaules sont si larges sur mes coussins, son regard est si vaste face au mien qu’il devient évident qu’il est plus qu’un enfant, quoi qu’il en pense, quoi qu’il veuille, quoi qu’il advienne. C’est ça qui le rend beau, je crois. Ce combat contre l’inéluctable qui fait rage sur son ventre et que personne n’est capable de gagner. Les blessures profondes que chars et archers creusent sur ses hanches et sur lesquels je voudrais promener mes ongles, mes cils, mes joues. C’est cette peur de la perte de contrôle, de l’avènement d’une évidence transcendée qui peint sur son visage de marbre parfait la douceur de la conscience qui enseigne et la finesse du plaisir qu’on sait quantifiable et limité dans le temps. C’est cette dichotomie qui fait qu’on ne détache pas ses yeux des traits qui sont les siens, qu’on y plonge, tête la première, pour mieux s’y noyer sous les applaudissements des pulls attentifs. Porterait-il une veste de costume qu’il aurait soudainement mille ans, rien à faire. Les montres gagnent humblement, et, grandes maîtresses, ne se vantent de rien, laissant le perdant répandre le bruit de leur puissance en avouant cette asthénie qui lui donne tant de raisons de pleurer.

Heureusement, il a pour lui ses hanches, larges et solides sous les souvenirs qui se palpent, et leur apparente robustesse l’aide à sauver la face.

         Oui, il y semble finalement perdu, dans cette jeunesse qu’il se refuse à quitter trop tôt et qu’il a hâte de quitter trop tard. Et, les seins flottant, nus parfois, au dessus de ces os, de cette peau cuirassée, de cette circonférence pleine qui fait son bassin et dont les bastions ont forme de côtes à jamais échancrées, hachées, on se demande, quand on l’aperçoit, si ce n’est pas plutôt dans son corps qu’il est perdu et si l’image juvénile n’est pas simplement une chimère, un écran blanc, les restes d’une fumée ocre et crème.