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Les personnages

 

LE MAUVAIS VOLEUR

M. LAW

LE  SECOURISTE

LE DECIDEUR

LE TAULIER

LE BON VOLEUR

 

 

PREMIERE MARCHE

PAS I

Un homme traîne un autre homme rétif, enchaîné des deux poignets. 

LE MAUVAIS VOLEUR : Aïe ! Tu vas déchirer mes poignets à force de me tirer ainsi. C’est fort méchant de me traiter dur pour peu de choses.

M. LAW : Ha ! C’est toi qui trouves que c’est peu de choses. (M. LAW le tire.) Allons voir les décideurs. 

LE MAUVAIS VOLEUR : Quels décideurs ? Libère-moi ; je n’ai que faire de tes méchantes chaînes.

Les deux rencontrent un homme en toge blanc noir.

 

PAS II

LE SECOURISTE : Hé hé hé ! On est où là ? On est à quel temps ici ?

LE MAUVAIS VOLEUR : M. LAW, madame te demande « on est où là ? On est à quel temps ici ? »

M. LAW : …

LE SECOURISTE : Vous êtes commis de M. Crozat pour le compte de Mr. Lynch ?

LE MAUVAIS VOLEUR : M. LAW, « Vous êtes commis de M. Crozat pour le compte de Mr. Lynch ? »

M. LAW :…

LE SECOURISTE : Je vous apprends que ces derniers ne vivent plus. Votre marchandise ne trouvera pas de preneur. 

LE MAUVAIS VOLEUR : M. LAW « Je vous apprends que ces derniers ne vivent plus. Votre marchandise ne trouvera pas de preneur ». 

M. LAW :…

LE SECOURISTE : Et puis Porto Séguro est fermé il y a des siècles. 

LE MAUVAIS VOLEUR : M. LAW « Et puis porto Séguro est fermé il y a des siècles ».

M. LAW : …

LE SECOURISTE : Monsieur, vous méprisez Victor Schœlcher ! Vous méprisez la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.

LE MAUVAIS VOLEUR : M. LAW « Monsieur, vous méprisez Victor Schœlcher ! Vous méprisez la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme ». 

M. LAW : …

LE SECOURISTE : Bientôt, c’est vous qui prendrez ces chaînes pour votre inhumatarisme.

LE MAUVAIS VOLEUR, jubile : M. LAW, « Bientôt, c’est vous qui prendrez ces chaînes pour votre inhumatarisme. »

M. LAW, montrant de son index gauche LE MAUVAIS VOLEUR: Cet individu est une espèce en voie de croissance. Et il faut parer tôt pour sauver le Village. Quand vous serez instruit de son crime…

LE SECOURISTE ET LE MAUVAIS VOLEUR, ensemble : Crime ?!

LE SECOURISTE : Qu’a-t-il fait ? (Se tournant vers LE MAUVAIS VOLEUR.) Qu’as-tu fait ? 

LE MAUVAIS VOLEUR : M. LAW, qu’ai-je fait ?

M. LAW : Monsieur, cet homme a volé !

LE SECOURISTE : Volé? Oui, mais voler, voler, on vole ! Nous volons, chacun vole, tout le monde vole. Mais, cela dépend. Qu’a-t-il volé ?

M.LAW : Il a dévalisé le Village d’un kilo de mangues.

LE MAUVAIS VOLEUR : C’est faux ! J’ai pris seulement cinq bonnes mangues de l’Arbre du Village. Et ce bourreau de M. LAW me traite comme si j’ai arraché l’oxygène à l’humanité.

LE SECOURISTE, furieux et toisant LE MAUVAIS VOLEUR : Donc vous confirmez le forfait !

LE MAUVAIS VOLEUR, surpris : Quel forfait madame ?

LE SECOURISTE, d’un ton menaçant : Je ne suis pas une femme, abruti et idiot. 

LE MAUVAIS VOLEUR : Ola ! Calmez-vous. Pourquoi portez-vous une bizarrerie de robe alors ? Aussi, de quel forfait parlez-vous ?

LE SECOURISTE, bas : J’ai perdu mon temps. Il n’y a rien dans ce vol à voler. (Haut à M. LAW.) Battez-le ! Si vous lui donniez cent coups, ajoutez cent autres pour mon compte.

M. LAW donne des coups de bâton sur la tête du MAUVAIS VOLEUR. Ce dernier crie au secours. LE SECOURISTE les quitte.

 

PAS III

LE MAUVAIS VOLEUR, insultant M. LAW : M. LAW, tu es dur, tu es méchant, tu es mauvais, tu es aveugle, tu n’as pas de cœur. Je t’ai dit que les cinq mangues, elles sont pour mes cinq mômes dont le dernier repas date de trois jours. Ecoute, si tu veux me tuer, laisse-moi aller leur donner mon larcin. Au moins, je mourrai pour avoir nourri mes pauvres mioches.

M. LAW : Ce n’est pas moi qui décide. (Il le traîne.)Allons !

LE MAUVAIS VOLEUR : On va où encore? Je suis fatigué. Tue-moi, si tu veux. Je ne bouge plus. (Il s’assoit). 

M. LAW, soulevant LE MAUVAIS VOLEUR: Il y a d’autres cas à régler ; ne me perds pas de temps.

LE MAUVAIS VOLEUR, tout riant : Oh ! Ton épaule est comme le kapok. On ne dirait pas la peau d’un homme qui a le cœur de roc. Uuuummmmmm ! Allons seulement. Marche ! Marche ! Marche !

M. LAW  jette LE MAUVAIS voleur aux pieds d’un homme en lunette assiégé de tonnes de papiers.

 

PAS IV

LE MAUVAIS VOLEUR, à l’endroit de M. LAW : Je n’ai jamais vu un homme aussi rustique que toi.

LE DECIDEUR, baissant de sa main droite les verres sur son nez écrasé : Quel sujet?

M. LAW : Un cas de vol.

LE DECIDEUR : Ah ! Le vol ! Le vol, le beau métier du siècle ! M. LAW, accordez-nous deux minutes.

M. LAW sort.

 

PAS V

LE DECIDEUR, d’un ton conciliant : Cher ami, où as-tu laissé la picorée ?

LE MAUVAIS VOLEUR :…

LE DECIDEUR : Parle, nous ne sommes que deux et mes murs ont perdu leurs oreilles il y a longtemps.

LE MAUVAIS VOLEUR : …

LE DECIDEUR : Tu ne sais pas que j’ai le pouvoir de te libérer ?

LE MAUVAIS VOLEUR : Je me méfie de vous, des hommes qui portent les habits de femme.

LE DECIDEUR, souriant : C’est l’habit du métier,  rien de travesti. Maintenant, dis-moi le lieu de la cachette. On peut se comprendre. Ni vu ni connu. (Il rit à gorge déployée.) Cher ami !

LE MAUVAIS VOLEUR, sort de sa bandoulière les cinq mangues : Voilà ce pourquoi M. LAW veut me tuer.

LE DECIDEUR, d’un air surpris : C’est tout ? Oh ! Quel mauvais voleur ?! Quel homme de peu d’ambition ?! Taulier !

Un géant homme à la barbe broussailleuse entre.

 

DEUXIEME MARCHE

PAS I

LE TAULIER, trainant LE MAUVAISVOLEUR : Donc, sur ce grand arbre, c’est seulement cinq mangues que tu as trouvées.

LE MAUVAIS VOLEUR : Vous êtes tous des barbares dans ce village. Laissez-moi. C’est cinq mangues, la nécessité de ma famille. Et ce n’est pas votre affaire de dicter notre besoin.

LE TAULIER : Deux ans au cachot te feront réfléchir pour la prochaine fois. 

LE MAUVAIS VOLEUR : Quelle prochaine fois ? Ola ! Vous m’envoyez en prison pour cinq mangues ?! (Il appelle les villageois au secours.) Mes gens, venez me sauver ! Il y a injustice ! Il y a crime ! Je refuse leur décision. (Il s’assoit par terre.)

LE TAULIER soulève LE MAUVAIS VOLEUR sur son épaule gauche.

LE MAUVAIS VOLEUR, souriant : Au moins, je vous aime bien pour cela. Je savoure votre dos. 

Le TAULIER le jette dans un cachot où un homme aux vêtements de technocrate lit un journal.

 

PAS II

LE MAUVAIS VOLEUR, gémissant : Il n’y a plus d’humain dans ce village bizarre.

LE BON VOLEUR : Bienvenu, cher confrère.

LE MAUVAIS VOLEUR : Confrère en quoi ? Tu te moques ! 

LE BON VOLEUR : En vol ! 

LE MAUVAIS VOLEUR : Je n’ai pas volé ; j’ai pris. 

LE BON VOLEUR : Quand on prend, on est mauvais voleur. Il faut vider.

LE MAUVAIS VOLEUR : Mauvais voleur ?! Et toi, tu as volé ? Et pourquoi tu n’as pas les poignets lacérés, le visage enflé ?

LE BON VOLEUR : Parce que je suis un bon voleur.

LE MAUVAIS VOLEUR : Bon voleur ? 

LE BON VOLEUR, tout goguenard : J’ai volé soixante dix milliards de corossols.

LE MAUVAIS VOLEUR, bégayant : Soi xan te dix mil li ards ? Mais, même dans cent réincarnations, tu ne les finiras pas !

LE BON VOLEUR : Quelle réincarnation ?! Tu crois à ces niaiseries ?!

LE MAUVAIS VOLEUR : Alors, pourquoi voler tant !

LE BON VOLEUR : Ecoute, un grand auteur dont le nom m’échappe a écrit quelque chose comme ces mots : tout métier que tu veux exercer, exerce-le bien pour que quand un passant te voit en œuvre, il puisse dire « voilà un bon artisan ». De deux, un livre saint (Coran ou la Bible) a prescrit : « l’homme doit laisser  l’héritage aux enfants des enfants des enfants des enfants des enfants des enfants de ses enfants ». 

LE MAUVAIS VOLEUR : Donc,…

LE BON VOLEUR : Donc, vole autant pour que ton secouriste puisse dire « voilà un bon voleur à secourir », vole aussi bien pour que ton décideur puisse dire « voilà un bon voleur en faveur de qui il faut décider », vole pour que ton taulier puisse dire « voilà un bon voleur à protéger ». Tu aurais fait comme moi, ton secouriste aurait volé quelques millions de mangues dans ton vol, ton décideur aurait picoré quelques millions de mangues dans ton vol, ton taulier aurait emballé quelques mangues de ton vol, le décideur t’aurait collé trois jours de taule pour habiller les choses, et…

LE MAUVAIS VOLEUR, surpris : Trois jours seulement pour un ruineur comme toi ?!

LE BON VOLEUR : Moi, « ruineur ?! » Je suis plutôt félicité. J’étais venu le jour d’avant. Je quitte aujourd’hui. 

LE TAULIER frappe à la grille.

 

PAS III

LE TAULIER, à l’endroit du BON VOLEUR : Monsieur, ramassez vos effets : vous êtes libre.

LE BON VOLEUR, à l’endroit du MAUVAIS VOLEUR : Cher ami, je vous le disais. Je suis libre. Prends en compte mes conseils. (Il ramasse ses effets. Il donne quelques corossols au MAUVAIS VOLEUR.) A nous revoir.

Il sort de la grille que LE TAULIER referme avec une brutalité inouïe.

 

PAS IV

LE MAUVAIS VOLEUR, seul : Donc, c’est comme cela ici : quand tu y vas avec la cuillère, tu es mauvais. Quand tu y vas avec la faucille, tu es bon. Je jure sur la tête de mes pauvres parents et de mes faméliques enfants que  moi, j’irai avec excavateur et chargeuse réunis. Je volerai ! Je volerai tous les fruits de l’Arbre, je volerai les feuilles, je volerai les branches, je volerai le tronc, je volerai les racines. (Il est essoufflé. Il médite un instant.) Ah non ! Priver tout le village de quoi vivre serait inhumain. Ah oui ! C’est inhumain ! C’est tuer ! C’est guerroyer. Ah non ! Prendre au delà de nos mérites ?!  Voler les vivants pour ceux qui ne sont pas encore nés ? (Il pleure.) Quelle idée absurde ? Quel village ? Quel monde ? Nous ne sommes plus des Hommes.

 

Fin