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Bruits de coups de pilon.

1/

Une terrasse. Certainement en bordure de mer. On entend un bruit semblable à celui des vagues. Dada entre et dresse la table. Deux plats. Deux chaises. Du vin. Elle pose sur la table un plat de  foufou et  une sauce de  poisson. Elle met de la musique. De la kora. 

Dada : 

Ma voix, une fois, a touché le ciel

après le foufou

je me suis râpée en attendant

qu’ensemble encore on le mange…

que j’embrasse le ciel

Dada parle à l’autre chaise qui représente le «  Thé ».

Du vin ? Bien sûr. Je te sers, mon Thé. Tout de suite. 

Dada sert le vin à moitié dans les deux verres. Elle soulève son verre et trinque avec l’autre verre.

Au foufou !

De la kora et du foufou. Une véritable dynamite pour les sens. Tu m’as appris à écouter la kora et surtout à danser dessus-

cette musique, battement impétueux qui a fait naître le tonnerre en moi

réveille en nous les odeurs

et me fait porter aux cimes du délire

le foufou encore le foufou.

Piler, piler, piler.

Allez, viens. Dansons... le temps que la sauce refroidisse. Elle est tellement chaude, on pourrait s’y brûler les doigts.

Dada danse avec la chaise qui représente le Thé. 

Comme je suis heureuse. J’ai émondé les moments de la journée pour en venir à cet instant.

Dada fait une halte, repose la chaise et se met à table. La musique continue.

Il faut à présent attaquer ce plat. À toi, mon Thé. Au foufou ! Bon appétit. Il faut manger le foufou quand il est chaud, sinon ça se gâte. Je n’aimerais pas que tu manges un foufou avarié de moi. J’ai eu tant de mal à le faire. J’ai dû piler, transpirer pour qu’il soit à la hauteur de la rencontre. Mangeons maintenant si tu ne veux pas que toute ma transpiration aille à l’eau.

Dada place une assiette devant la chaise qui représente le Thé. Elle mange et met un morceau au fur et à mesure dans l’assiette du Thé.

C’est bon, n’est-ce pas ? J’adore. La sauce est exactement comme la dernière fois. Pimentée à dessein. Tu pourras faire recours à ma langue pour te rafraîchir. Encore du vin ? Je te sers ?

Elle remplit le verre du « Thé ».

Pourquoi ne manges-tu pas ? Pourquoi ce silence ? Ce  n’est jamais bon un silence.

Elle arrête de manger.

Silence

Reviendra-t-il ? Nous avons mangé ensemble et il m’a dit qu’il viendra juste pour manger en regardant mes yeux. Il a dit ça. Et mes seins. Il a dit ça. Avant de partir. Il a dit qu’il reviendra manger le foufou avec moi et prendre le vin en regardant mes yeux et mes seins. On a pleuré ensemble. Elles sont belles les larmes quand elles sortent de ses yeux. Elles sont belles. Il est beau. Je porte la flagellation de son départ.

Depuis qu’il est parti, chaque vendredi, je reprends le cérémoniel. Aujourd’hui, c'est le vendredi du retour. Je le sens. J’ai senti les frissons de son regard rien qu’en faisant la cuisine. Je l’ai senti me pilonner dans chaque coup de pilon que j’ai donné au mortier. J’ai pleuré de plaisir. Mais mes larmes exubérantes étaient moins belles que les siennes.

CE SOIR, TU MANGES MAL LE FOUFOU. TU ES SI MALADROIT. J’AIME ÇA. J’AIME M’OCCUPER DE TOI. TU T’ES MIS DE LA SAUCE DESSUS. OH ! TU N’ARRIVES PAS À METTRE LES DOIGTS DANS CETTE SAUCE QUI BRÛLE. TU T’ES SALI. TU EN AS MIS SUR TOI PARTOUT COMME UN ENFANT. J’AIME ÇA. JE SUIS HEUREUSE DE T’APPRENDRE À MANGER. À PRENDRE SOIN DE TOI. NOUS AVONS PÉTRI NOTRE LIAISON DANS LA CHALEUR D’UN MET, LEVAIN DE NOTRE AMOUR. 

Quand je devais te donner à manger, mes doigts sont entrés dans ta bouche. Quand mes doigts ont touché tes lèvres, je me suis sentie nue, le tintamarre de la volupté m’a dissoute. Mon sein toujours cabré t’a obéi. Le cortège de douceurs, le plaisir d’un soir.  

Il faut que tu viennes encore et qu’on mange, il me faut ça. Te le mettre en bouche. Me le faut. Te mettre en bouche.

Deux ans maintenant que j’attends ; que j’ai pilé ce foufou que tu as mangé. Que j’attends que tu reviennes encore pour notre sacrée communion. Pourquoi ne veux-tu pas revenir pour sentir ma main dans ta bouche ? Je me suis abandonnée à toi. Je t’ai donné ma fleur. Tu as fait de moi un cerf-volant dans le ciel du désir. J’ai plané. Creuse en moi le sillon qui mène au ciel. Donne un sens aujourd’hui à ma marche d’équilibriste sur ces envies essorées.

J’aime le parfum de ce souvenir épicé. Depuis que tu es parti, chaque vendredi, je mange du foufou avec la sauce de poisson. Ce poisson, comme tu l’aimes. Fumé. Pour toi, pour nous…Plier l’horizon…Apprivoiser l’ailleurs dans lequel tu gîs. Parce que je refuse d’être une lande. Je suis blette.

Dada se retourne vers la chaise du « Thé ».

Maintenant taisons-nous et mangeons. La parole devient lourde à porter. Allez, mange. Tu me fais douter de moi, du foufou, de la sauce, des épices, du rêve, du ciel. Je commence à croire que je suis une putain de rêveuse, une folle qui attend un homme à côté d'un plat qui refroidit et surit. Ne laisse pas le foufou se gâter. Ok ? Alors, sois gentil et mange.

Dada mange à nouveau.

J’ai pilé et transpiré. J’aime piler, tu vois. Ça me fait transpirer. Comme si tu me faisais l’amour. Je transpire et je garde la sueur sur moi. J’aime l’odeur de cette sueur sur moi, tu sens ? 

Mange maintenant. Sinon, le foufou deviendra tout douillet et il faudra le jeter. Je ne voudrais pas me jeter. Je suis un peu comme le foufou, tu sais, celle que tu piles. Tu veux encore du vin, c’est ça ? Tu aimes ça, hein ? Boire le vin. Tu m’as baptisée «  L’île ». Tu as parlé de moi comme d’un paysage à la beauté farouche et pure. Tu as dit ça et tu es parti espérant que je porte en terre ton visage. Crois-tu que je peux t’oublier ? Tu as dit que je suis l’île au flanc duquel ton sein s’est aventuré à jamais. Et tu es parti. Ça m’a fichu un cafard pas possible - passer le temps - voir le temps passer- t’imaginer - te voir faire ces phrases si belles et voir ton sourire - entendre ta voix rauque – sentir ton corps - TOI. Drapée de ces souvenirs, je t’ai attendu mon Thé. Je t’ai appelé mon Thé parce que tu as la douceur et l’arôme d’un thé.

Dada mange et sert dans l’assiette du « Thé »

Il va falloir que tu manges. Je vais me fâcher pour de vrai si tu ne manges pas. Je te jure que j’ouvrirai ta bouche et je t'obligerai à avaler ce plat que je me suis tuée à nous faire. 

Moi, pilant-

Toi, me pilant

Toi, pétrissant mon corps glaise

Toi, l’artiste

malaxant

Moi, l’argile

qui point, nouvelle au monde,

nacrée…

La musique s’arrête.

Es-tu là?

N’es-tu pas venu ?

Ne viendras-tu pas manger le foufou avec moi ?

L'artiste a-t-il renié son oeuvre ? Déjà ?

Viens faire de moi une poésie vivante, une mélodie marchante.

Ne viendras-tu pas boire cette sauce ?

Et m’embrasser de tes lèvres épicées et mettre en moi la chaleur du piment ?

Ne viendras-tu pas ?

JE VEUX QUE TU VIENNES ET QUE TU M’AFFRANCHISSES DE TON IMAGE DE TOI - OU QUE TU M’EMPRISONNES ENCORE PLUS - QUE TU ME RENDES PLUS FOLLE QUE JE NE LE SUIS MAINTENANT. JE VEUX ÊTRE FOLLE POUR TOI - PORTER TA FOLIE - CÉLÉBRER LE FOUFOU ET LA SAUCE AU POISSON. 

Dada renverse la table.

Il faut que tu viennes

que tu viennes

manger

boire et embrasser

m’embrasser

il faut que ma voix touche le ciel encore

il faut.

Derrière une ombre.

Noir