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« Et… euh… tu vas souvent au cinéma ? »
Réponse succincte et glaciale.
          Le jeune homme revient malgré tout à la charge :
« Et… sinon… tu apprécies la peinture ? »
          Ça allait encore durer longtemps, cet interrogatoire ? Cet ixième Mathieu, ou Sébastien, ou elle ne savait plus qui, allait-il faire défiler encore longtemps sa liste poussive de sujets de conversation ? Trouver au plus vite une porte de sortie.
         C’était bien la dernière fois qu’elle se rendait à l’un de ces rendez-vous avec des inconnus. Les timides qui noient le regard dans leur Perrier menthe. Les conversations mates et sans remous. L’odeur forte des hommes en chasse. Pourquoi l’espoir la piégeait-il donc à chaque fois ? Suite morne de rencontres mornes dans des cafés tristes. Certainement pas cela qui colmaterait son cœur ébréché. Le célibat n’était pas un si mauvais choix.
« Tu m’excuses une minute ? » Elle file vers le fond du café.
         Les toilettes. Elle prend une longue respiration pour dissiper la nausée. Le miroir lui détaille les premiers cheveux blancs, la teinte grise de ses trente-huit ans, les rides creusées par la solitude. Immense lassitude d’avoir à tout recommencer à chaque fois. Pour ce soir, plus qu’à filer se coucher pour clore ce mauvais jour.
         Au moment même où elle franchit la porte, face à elle, un visage connu. Le rire de ces deux yeux verts qui coulaient le long d’elle, le hâle de ce visage qui la réchauffait. Ces lèvres dont la voix s’était trop tôt éloignée. Le visage autrefois aimé se découpe avec une netteté cruelle. Elle s’arrête.
« Bonsoir, Philippe… Qu’est-ce que tu fais ici ? 
– Euh, bonsoir. Attends… Oui, ton visage me dit quelque chose, mais… 
– Ida. 
– Ah oui… Ida ! Tu vas bien ? Écoute, on m’attend, à bientôt. »
L’homme de jadis ne laisse derrière lui qu’un courant d’air dans lequel Ida s’enveloppe un instant. 
         Alors, d’un pas décidé, elle se dirige vers la table, enfile son manteau, jette un billet et un regard de défi au jeune homme qui l’attend docile :
« Chez toi ou chez moi ? ».