Note utilisateur: 5 / 5

Etoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles activesEtoiles actives
 

 

Seules

Elle ne bougeait pas. Elle était venue se placer là, juste au coin, à la vue de tout le monde, ne se gênant pas d'être là, ne se gênant pas d'être apparue sans crier gare, ne se gênant pas d'être observée. Certains ne l’observaient que du coin de l'œil, n'osant pas la regarder dans les yeux, par peur de s'y reconnaître. D'autres la contemplaient plus intensément, espérant même la voir quitter le coin où elle s’était réfugiée. D'autres encore préféraient simplement l'ignorer. Elle, elle ne bougeait pas. Elle attendait de voir si une amie allait la rejoindre, une fois, un jour, peut-être. Elle étincelait sous le soleil. Elle prenait la couleur du soleil et des nuages, un caméléon du temps, des émotions du temps, de ses émotions. Et puis il y a eu l'autre. De l'autre côté. Elle lui ressemblait comme deux gouttes d'eau et reflétait elle aussi les couleurs du temps. Elle aussi attendait une amie, une amie qui viendrait sûrement, une amie qui lui ressemblerait. Une amie qui viendrait un jour, une fois, peut- être. Elles étaient toutes proches l'une de l'autre, mais elles ne se voyaient pas. Et elles ne parlaient pas. A personne. Si elles s'exprimaient, c'était par l'éclat de leur beauté, qui faisait naître chez ceux qui les observaient, qui les admiraient, un souffle fragile d'émotions. Les deux attendaient l'arrivée de l'amie tant attendue. Mais elle ne venait pas, ni pour l'une, ni pour l'autre. Et elles ne se voyaient toujours pas, l'une et l'autre. Ces amies attendues ne viendraient plus. Alors l'une et l'autre ont quitté leur coin, elles ont coulé le long de la joue, lentement, en prenant soin de suivre tous les contours du visage, avant l'une et l'autre de plonger rejoindre les flots fertiles de la terre.

 

Fraîcheur

Une chambre blanche. Un carrelage de terre cuite où les couleurs magiques des terres mélangées s'enroulent en spirales improbables. Une chambre fraîche, protégée de la chaleur par la blancheur de ses murs. Un sol frais sur lequel viennent se poser délicatement un, puis deux pieds nus. Les orteils d'abord. La plante des pieds puis le talon ensuite. Délicatement la fraîcheur s'empare des pieds. Elle remonte subtilement le long des jambes et du torse, gagne le cou et la tête entière. Les pieds s'arrêtent et le corps s'allonge sur ce sol de terre cuite, entre les murs blancs. Il n'y a rien d’autre au mur et au plafond, rien d’autre que le blanc. Le seul décor de cette chambre est la folie de ces pierres de terre cuite, immense mosaïque au milieu de ces murs et de ce plafond, qui lui donnent sa lumière. La chaleur en dehors, la fraîcheur en dedans. Un frisson qui parcourt le corps de la tête aux pieds. La peau qui frémit. Une goutte de sueur qui pointe sur le front et qui roule sur la tempe. Une autre sur la joue, qui prend le chemin de la lèvre. Une autre encore sur le menton, qui s'arrête dans le creux du cou. Le corps entier qui redonne en dehors sa torpeur intérieure, qui réclame le retour au calme. Le corps qui sait qu'il n'a qu'un court instant de répit avant de sentir le feu renaître en lui.

De bois

Il y avait un pinceau, de la peinture et un papier blanc, gaufré. Mais un blanc différent de celui que l’esprit s’imagine, celui qui est pur, qui est la somme de toutes les couleurs, et pourtant mort de sa pureté. Lui, c’était un blanc rempli de tout ce qui le rend beau. Un blanc teinté de l’esprit de l’artisan qui l’a rendu vivant. Teinté des milliers de fibres de bois que l’arbre a offert à l’artisan, au poète et au pinceau. Un pinceau qui se l’approprie, qui veut le rendre vivant et qui l’inonde de sa peinture. Du brun puis du vert, pour faire renaître la terre et sa verdure. Du gris pour faire naître la pierre et les roches, les montagnes. Du bleu pour faire couler les rivières. Et il mouille bien la feuille, le pinceau, avec toute l’eau qu’il boit. Pour arroser la roche, la terre et la verdure. Pour alimenter les rivières. La terre s’abreuve de l’eau. La terre et l’eau nourrissent la verdure et les milliers de fibres de bois de l’arbre qui s’est offert à l’artisan, au poète et au pinceau. Et les milliers de fibres gonflent et se nourrissent de la terre, habitent le gris des roches, les poussent et les repoussent de telle sorte qu’elles deviennent des collines, qu’elles deviennent des montagnes. Elles gonflent et se nourrissent pour que le papier gaufré devienne un paysage généreux, resplendissant de sa nature et boisé de millier d’arbres qui s’offriront à leur tour à l’artisan, au poète et au pinceau, pour que l’imagination jamais ne tarisse et qu’à jamais elle habite l’esprit de l’homme.