La femme le tenait fermement contre son sein, étreinte elle-même par tout l’amour maternel qu’une créature de Dieu pouvait donner. Son désir le plus cher était enfoui au plus profond de son être, mais transparaissait à travers ce doux sourire qu’elle lui vouait. Je me la représentai souvent dans chaque mets, chaque lieu, chaque phénomène aussi, comme l’incarnation d’un ange très puissant ; son fredonnement réveillait l’aube, et la lumière se versait sur le chemin broussailleux qui jusqu’au champ s’étirait…
Elle y cultivait l’humilité profonde, sans jamais épargner sa peine ; sous un astre dur qui frappait à grands coups de lame. Mais sa peau était un bouclier en acier à l’épreuve des rayures et du dessèchement ; mouillée ; la suée d’un labeur de titan. Le soir, elle crapaütait sur le sentier du retour, alourdie par le rembourrage sur sa tête, un enfant au dos, et dans ses entrailles. Je me suis moulu dans l’idée qu’elle ne fut pas qu’être de chair. Si tant est que ma fierté et ma virilité ne fussent guère solidement attachées à ma ceinture, je poserais mon front à ses pieds, et lui offrirais ma déférence si jalousement gardée…
Plus simplement, elle tendait toujours les mains – tantôt riches en offrandes tantôt pleines de qualité – telle une reine bienveillante. C’est de sa cuisine, qu’exhalaient les mille et une raisons de se nourrir de l’esprit de la terre fraîchement cueilli ; son banquet, foisonnant de sensations multiples, flattait l’homme, égayait le plus jeune et alléchait les aïeux. Puis, à l’heure où le ciel revêt sa magnifique tunique noire constellée de perles, elle apprêtait son rituel nuptial – en silence, de cette même passion qui ne s’enflamme autre part que dans l’âme d’un être juste, fidèle et dévoué…
Je n’avais de cesse de l’observer, d’un œil secrètement ouvert, après nos intimes échanges. Elle tissait, tressait ou tricotait ; – je n’y comprenais rien au geste. Tout ce qu’il m’eut été donné de constater en clair furent des doigts souples se faufilant aisément dans la trame, avant d’en ressortir avec un tissu magnifiquement présenté. Sur le marché, elle faisait un lucre considérable de son art. Non pas en terme de pécule. Mais en récoltant les sourires ravis des visages passagers. Pour cela aussi, on la vénérait…
Quant à moi, à l’instar de la plupart de mes homologues, je ne fus que plus porté sur la flânerie, la bouteille, aux préjugés machistes, et à la dégustation de son fameux Thièbboudjen1…
1. riz au poisson
Crédit Photo: Ashley Moponda