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     Otabela, perchée sur un monticule, observait la terre, sa terre. Les larmes aux yeux, elle se remémorait l’enfer des vingt dernières années de batailles âpres, parfois violentes et toujours stressantes. Elle s’était mariée à Bidima à dix-neuf ans. Avaient suivi quinze années d’un mariage plutôt heureux. Et puis l’accident. L’effroi. Les larmes. Le désespoir. Les quatre fillettes désormais sans père. L’horreur des obsèques au village Ekang. Les rites terribles de veuvage. Et le cauchemar la poursuivit à Yaoundé sous les traits d’Ekobo, cousin du défunt. Mandaté par le reste de la belle-famille, il tint un discours qu’Otabela eut du mal à saisir au début. S’entrechoquaient dans son esprit : papier de propriété, titre foncier, administration des biens, veuves heureuses, lévirat. Elle sentit des larmes chaudes ruisseler sur son visage. Il posa sa main sur son genou. Le cri de dégoût qu’elle poussa alerta sa mère et sa sœur présentes dans la maison. Ekobo s’enfuit de là sous les injures et la menace d’un pilon. Ce fut le début de vingt ans de lutte acharnée. Contre la rumeur qui l’accusait d’avoir mangé Bidima dans la sorcellerie pour de l’argent. Contre sa belle-sœur qui contait partout que deux des filles d’Otabela n’étaient pas de son frère. Contre toute sa belle-famille qui espérait entrer en la totale possession du patrimoine laissé par Bidima. Contre sa propre famille aussi: les hommes de son clan étaient inquiets au fond de la voir gagner la bataille, car cela pouvait donner des "ambitions" aux sœurs, cousines, tantes mais aussi aux femmes venues en mariage chez eux. Il fallait qu’elle perde. Bataille enfin, contre elle-même du fait de la peur et de la lassitude. L’inquiétude constante avait fripé tout son être : son visage sillonné par des rides précocement apparues et le ratatinement de son corps naguère élancé en étaient les preuves.  Malgré les creux et les nombreux obstacles, elle tint bon, menée dans le combat par la conviction de son dû et par la sécurité de ses enfants. Ce jour-là, sur ce monticule qui dominait sa petite maison nichée sur cette terre qu’on ne pouvait plus lui contester, elle tenait d’une main ferme la grosse qui la rendait enfin libre. Sentinelle toujours sur le qui-vive, elle pouvait désormais déposer les armes. Non. Non. Non. Surtout ne pas les déposer. Plutôt les passer à ses enfants. Ses quatre filles, nouvelles vigies. 

 

Crédit Photo: Ashley Moponda