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       Seule, face à mon miroir, je fixe un point imaginaire, déterminé par le creux entre mes seins. Mes yeux rouges, cernés, restent perdus dans le vide, en cet endroit de l'univers où tout commence et finit à la fois, où je mourus et où je renaîtrai. Tout se résume en cela, un espace imaginaire, un tout qui est un rien. Rien. Ce que mon esprit souhaite mettre dedans. Rien. Mes larmes, essuyées d'une main énervée et sans pitié, font pleurer mon maquillage sur mes joues, mes lèvres, mon menton pour atterrir sur mon torse présentement mis à nu. Le miroir est mauvais, il brise ma concentration, me pousse à tomber de mon monde, de cette capsule dans laquelle je me réfugie par la fixité obsessionnelle de mon regard. Je ne suis plus là mais il me rappelle que tout n'est pas terminé, qu'il me reste bien des choses à faire, que je ne peux m'en aller simplement ainsi. Et pourtant il est si facile de partir, tellement plus difficile de dire au revoir, c'est pour cela qu'en général les gens laissent une lettre, un mot. Dans mon monde il n'y a rien, enfin presque rien, car il est peuplé de l'illusion somptueuse et ironique que m'offre mon esprit déchiré. Tout ce qui m'entoure est beau, nulle touche de haine, de violence, d'humain ne vient en gâcher le tableau. Je ne ressens plus mon corps, peut-être m'a-t-il libérée ? A moins que ce ne soit le poison, les médicaments qui commencent à faire effet. Le ciel est magnifique, d'un bleu azur parfait s’accommodant de quelques nuages moutonneux d'un blanc éclatant. Une goutte tombe et me ramène à la réalité. Je ne l'avais pas senti mais ce sont à présent des torrents de larmes qui s'écoulent de mes yeux brillants. Ces flots hurlants tracent leur terrible route sur mon corps avant de chuter sur le sol glacé depuis ma poitrine contusionnée. Mes paupières se ferment sur l'instant, je ne veux plus voir, car regarder m'est devenu trop douloureux, je ne veux plus être car exister m'est devenu trop cruel. Je tends une main insensible vers le pourtour du lavabo, j'y avais laissé de quoi me secourir en cas de problème. Définitivement je n'arrive plus à m'évader du présent. Mon corps est pris de violents tremblements, la peur ? L'horreur ? La fatigue ? Les médicaments ? Je ne sais pas. Mes doigts réussissent enfin à trouver l'ustensile et le ramènent à moi. D'une longue inspiration j'essaie de calmer les troubles de mon organisme, sans que rien n'y fasse, et j'enfonce le couteau dans mon œil droit, puis dans mon oeil gauche avant que la douleur ne m'arrête, car elle va m'arrêter. Mais celle-ci n'en fait rien. Je vais pouvoir repartir, sans que le miroir ne me déconcentre, sans que le monde matériel ne me retienne de force. Mais sans mes yeux je ne vois ni la réalité, ni mon univers, je suis à présent bloquée entre les deux, comme un esprit perdu dans les limbes. Un cri éraillé sort de ma bouche, hurlant toute ma frustration, mes poings frappent sans que je ne m'en rende compte, la glace se brise sous le choc et vient s'écraser sur le sol. Après quelques instants d'une tempête incontrôlée, mon corps cesse de bouger tandis que je tente de respirer, le souffle court. Le départ semble proche, si ce n'est pour mon pays imaginaire, du moins est-ce pour ailleurs. Un départ nécessite-t-il après tout une destination ? Je ferme les yeux. Plus personne ne me touchera jamais, plus jamais. La mort, ma tendre fiancée va enfin me rejoindre, que nous dansions une dernière fois. Je me sens tomber, comme de très loin, en réalité je ne suis déjà plus là. Mon cœur s'arrête de battre, ça y est, c'est la fin. Je ne ressens plus rien, la peur, la haine, la souffrance, le désespoir, la rage m'ont quittée. Il n'y a plus que la paix de l'inexistence, la douce mélodie du non-être.

 

Crédit Photo: Ashley Moponda