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       10 Août

       08H02

       Ma chère maman,

       J’ai songé à toi cette nuit de façon sereine pour la première fois.

      Il se produit une chose tout à fait extraordinaire en moi. Je sens mon âme se départir de cette sombre mélancolie qui l’habitait il n’y a pas si longtemps encore ; cette tristesse d’exister qui m’a fait noircir tant de pages de ce cahier dans lequel j’ai couché chaque jour à peu près des mots pour toi, des mots que tu lis peut-être (je l’espère du moins) de là-haut.

     Comme j’aimerais que tu sois là ! Te voir, t’entendre. Pouvoir te connaître enfin telle que tu as été, et non pas telle qu’ils t’ont décrite.

       Ma vie entière n’a été qu’un mensonge. Ils m’ont appris très jeune à te mépriser. Ils ont répandu des choses ignobles à ton sujet :  tu étais une catin. Enceinte d’un voyou -que jamais personne n’a vu- tu t’es retrouvée, à l’âge de treize ans seulement. Et plus tard, tu as donné naissance à une petite fille, un bébé dont tu n’étais pas capable de t’occuper. 

      Victime d’inceste, tu l’étais, tous le savaient. Mais ils t’ont volontairement dénié ce statut, bâillonnant ta parole au nom de l’honneur familial ; au nom de la réputation de l’illustre bourreau, ton oncle.

       Tu étais la victime, mais c’est bien toi encore que l’on incriminait. Ta jeunesse sacrifiée par une faute que tu n’avais point commise. Et ta mort brutale ensuite, me privant définitivement de ta présence, nous éloignant pour l’éternité.

        J’ai découvert assez tard la sordide histoire de ma naissance. J’ai haï tous ceux qui m’ont menti, tous ceux qui t’ont fait mal, pauvre petite maman. Et j’ai eu du dégoût pour ma personne, moi, enfant de la honte. Peu à peu, mon âme s’est repliée sur cette souffrance qui ne m’a plus jamais quittée.

        Et samedi !

        Sais-tu ce qu’il s’est produit samedi, maman ?

      J’étais dans ce marché où des femmes distribuaient des tracts. L’une d’elles m’a souri : « Nous sommes une association et luttons contre la maltraitance en milieu familial. Ce soir, nous projetons un film dans la cour de l’école primaire de Mbota, il y aura ensuite un débat public, venez ! »

- Le film portera sur quoi ? ai-je fait d’une voix désintéressée.

- Sur l’inceste !

        J’ai pleuré tout au long de la projection, des larmes silencieuses et amères. Quand le débat s’est ouvert, je me suis avancée, habitée par la volonté de m’exprimer enfin, de dire qui j’étais, quelle femme avait été ma mère, ce qu’elle a souffert, ce qu’on a jugé bon de taire, ce qu’endurent encore aujourd’hui plusieurs victimes d’inceste.

 

Crédit Photo: Ashley Moponda