Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

« Dépêchons ! Nous ne pouvons perdre plus de temps ! »

Emyl détourna un instant les yeux de la toile qu’il admirait, regarda furtivement le veilleur s’éloigner en silence, reporta son regard sur la toile. Sur celle-ci, des cercles mouvants allaient de-ci, de-là, s’étiraient, s’effilochaient en un ballet étrange de bleu et de blanc crémeux. Sous le tableau, la légende indiquait que le rêve appartenait à un certain Jimmy, deux ans.

« Eh bien, eh bien ! Il n’est guère temps de batifoler ! »

Emyl sursauta, s’arracha à la danse étrange du rêve et courut rejoindre le veilleur, qui déjà disparaissait dans le corridor. Ils quittèrent prestement le Hall des Rêves, au grand désarroi du jeune homme, et cheminèrent en silence dans le couloir blanc, vide, presque indifférent.

« La Galerie des Glaces, indiqua le veilleur lorsqu’ils croisèrent l’entrée d’une grande salle. De là, l’on peut voir les reflets des vivants. »

Emyl jeta un coup d’œil furtif, tenta d’apercevoir à quoi ressemblait l’intérieur de ladite galerie, fut déçu de constater que rien n’était visible depuis l’extérieur.

« La Promenade des Souvenirs, continua le vieil homme alors qu’ils croisaient une allée grandiose.

— Pourquoi ne pouvons-nous nous y arrêter ? s’enquit Emyl, le cœur empli du désir de découvrir les secrets du Palais des Spectres, frustré de voir ce désir étouffé.

— Tu auras tout le temps de tout voir lorsque tu auras pris tes fonctions, trancha le veilleur. Pour l’instant, nous avons mieux à faire. »

Le jeune homme ouvrit la bouche pour protester, s’arrêta dans son geste alors qu’ils atteignaient une croisée des chemins, marquée par des enseignes directionnelles. Sans la moindre hésitation, le veilleur prit le chemin de gauche et poursuivit sa route sans attendre. Emyl, quant à lui, s’arrêta le temps d’un instant, s’intrigua devant l’enseigne de la « Chapelle des Disparus », fut interpellé une fois encore par le vieil impatient et s’engagea dans la troisième direction indiquée par les mots « Boulevard des murmures ».

Alors qu’il regardait par-dessus son épaule les enseignes directionnelles, plus intrigué que jamais, le corridor prit fin brusquement et s’ouvrit sur une cour immense, dont le sol était revêtu de briques épaisses, grises. Du reste, l’endroit était vide de tout ornement divers, quel qu’il fût. Toutefois, une mélodie insolite, de source inconnue, se jouait en ces lieux. Frappé par la beauté de la musique, Emyl se figea, tendit l’oreille. Brusquement, il se rendit compte que ce qu’il entendait n’était guère une mélodie, mais un chant. Un chant d’un chaos musical, des voix mêlées, entremêlées, certaines incroyablement douces, d’autres plus distinctes, sonores. Des voix d’hommes, de femmes. Des jeunes, des plus mûres, enchevêtrées en une mélopée dont Emyl ne comprenait un traître mot. Le veilleur, qui finit par se rendre compte que le jeune homme ne le suivait plus, arrêta son avancée, l’observa.

« Que sont ces voix ? s’enquit Emyl.

— Des secrets, répondit le veilleur. Ceux des mortels, qu’ils chuchotent loin des yeux. Les prières, les colères silencieuses, leurs vœux.

— Que disent-ils ?

— Pour les comprendre petit, il te faudra les écouter. »

Le jeune homme hésita un moment, puis il se pencha lentement, posa quelques doigts sur les briques, s’étendit sur le sol, y posa l’oreille. Les voix autour de lui se firent alors plus chuchotantes, laissant seule s’élever celle de la pierre unique à laquelle Emyl prêtait attention. C’était celle d’une petite fille. Elle priait, sollicitait Dieu, le suppliait de veiller sur son père, parti à la guerre. Emyl se redressa, demeura immobile. Le veilleur se pencha, fronça les sourcils devant le visage perplexe, presque concerné, du jeune homme, s’avança vers lui.

« Eh bien ? interrogea-t-il.

— Que devient le père de cette petite fille ? » questionna le jeune homme.

Le vieil homme garda le silence.

« Je l’ignore, finit-il par avouer. Seul le Maître du Temps possède cette information, et il doit en rester ainsi. »

Quelques minutes défilèrent, Emyl ne les vit guère s’éloigner. Il se releva enfin, s’immobilisa à nouveau. Le veilleur s’éloigna alors et reprit sa route. Le jeune homme finit par se résigner et le rejoignit.

« Tu ne dois nullement t’inquiéter de ces choses, le sermonna le veilleur. Les vies des mortels ne nous concernent en rien. Nous ne sommes que les protecteurs de leurs existences, de leurs rêves, de leurs souvenirs. Les gardiens de ce qui est révolu, de ce qui est, de ce qui adviendra. Toutefois nous ne pouvons nous mêler à eux. Ils ne concernent que les mortels, et seuls eux doivent les toucher.

— Pourquoi m’avoir choisi ? demanda le jeune homme du bout des lèvres.

— Je suis vieux, répondit celui-ci. Mon rôle ici prend fin, il est plus que temps pour moi de me trouver un remplaçant.

— Et où irez-vous, après ?

— Où vont tous les esprits, petit. »

Emyl soupira, se demanda une énième fois pourquoi ce rôle lui échoyait à lui plutôt qu’un autre. Cela le préoccupait tant qu’il ne fit guère attention à l’endroit où le menait le vieux veilleur et ne sortit de ses pensées que pour se rendre compte qu’il se trouvait dorénavant dans une serre splendide, où poussait une flore prolifique.

« C’est le dernier endroit que nous visitons. La Serre des Espoirs. Nul besoin de préciser ce qu’elle contient, mmh ? C’est le plus bel endroit de ces lieux, selon moi. Celui que je préfère, et de loin. Dépêchons maintenant, nous ne pouvons nous éterniser plus encore. Quelqu’un désire te voir.

— Qui donc ? s’inquiéta le jeune homme.

— L’Être Suprême. »