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L’exil

 

 

peut-on perdre en dix jours le pouvoir de reconnaître son visage ? 

les mains passent en chemin sur des joues étrangères

qui sont nôtres

peut-on partout être avec quelqu’un que l’on ne connait pas

le matin et le soir dormir contre soi-même

comme si nous nous étions aimés jusqu’à n’en plus pouvoir ?

est-il possible de vouloir faire chambre à part

d’avec ses mains ses yeux son cou son ventre

jusqu’à faire de la fatigue un corps qui nous appartient plus que nous-même ?

et jusqu’où la solitude peut-elle aller avant de se retourner en présence ?

à quel point faut-il y avoir gouté pour la confondre avec des retrouvailles ?

d’où vient le plaisir accordé à celui qui est seul d’éprouver sa solitude en vertiges ?

le vertige de n’être embrassé par personne 

de n’être pas touché ni regardé longtemps

la nausée de n’être qu’une surface d’y avoir été confondu

jusqu’à s’y confondre soi-même 

et la volupté atroce de ce pouvoir accordé

à celui qui peut disparaître 

de n’être plus sans mourir 

jusqu’où mène-t-elle cette ivresse ?

je pense qu’un accord secret existe entre l’exilé et son exil

harmonie partagée entre le désert et le déserté

l’un et l’autre ramené à la matière inconsistante et fragile

de ce qui peut brusquement s’envoler ou bien

construire des palais

 

L’orage

 

 

tu voulais l’amour et tu as eu l’orage
le temps a fait naufrage
et l’amour est passé

maintenant le désir mord le flanc de ta pensée


ton œil est crevé par la nuit qui s’achève

foule la clarté des choses belles
n’ouvre pas la porte si ta joie est amère

tu somnambules dans les rues comme dans une mer
les oiseaux ne hurlent plus dans le dimanche épais

tu voulais le plaisir et tu as le reproche
ton rêve si proche à la fenêtre
flotte dans des cheveux défaits

à présent ferme l’œilleton que tu gardais ouvert
l’automne est venu et le vert est passé
repeins les murs efface les traces

tu voulais l’amour et tu as eu l’angoisse
ce qu’il reste est de l’espace
où tu t’entends parler

 

Nantes

 

 

Et soudain tu vois partout du mystère
La gare de Nantes est un tableau de Klee

Le monde encore possible repose


À tes pieds dans une valise que quelqu’un oublie

L’urgence sonne comme un clairon d’armée
L’horloge arrêtée sur six heures éternellement
Et le contrôleur les voyageurs les marchands
La ville tout entière dans ton dos qui passe

Et les billets tombés sur le carrelage la crasse
Des voyages ramassés sur les quais

Des cloitres et des impasses dans l’œil d’une jeune femme
Que tu as aimé d’un coup pour l’oublier ensuite

À ta gauche on joue du piano comme si de rien n’était
Comme la beauté s’use d’être ignorée partout

Tu voudrais partir mais il faut attendre l’heure
L’espace s’emplit de retrouvailles heureuses
Deux hommes se battent pour un banc
Comme tout t’apparait soudain en fragment
Morceaux clartés tombées du plafond

L’aura des Passages scintille dans ta mémoire
C’est comme si brutalement tout était sale
D’avoir été vécu mille fois

Tu voudrais partir mais tu restes assis-là
Une famille te laisse seul à attendre dans ta salle
Le garçon a oublié son dessin derrière lui

La gare de Nantes est un tableau de Klee