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TOUR DE CHAUFFE

Il était environ 13 heures quand la place du marché de Tamalou-Les-Bains, écrasée de soleil et de chaleur, daigna enfin nous faire face. Le marché battait son plein et moi ma coulpe, pour ne pas avoir vérifié la climatisation de mon véhicule avant d’entreprendre ce voyage vers le sud de la France. Celle-ci décida de pousser son dernier soupir de fraîcheur dès le début du parcours pour le transformer alors en parcours du combattant. Après huit heures passées dans une sorte d’autocuiseur à roulettes, nous nous ruâmes, Véro, les deux chiens et moi, langues pendantes pour tous, vers le premier estaminet venu pour engloutir la nappe phréatique locale. Les effets des conditions météorologiques estivales sur nos organismes parisiens, faisaient qu’à nous quatre, nous devions atteindre péniblement 1 sur l’échelle de Richter Version Tension.

Le mois d’août, c’est le mois d’août ! Et le soleil qui s’abattait sur la région du haut Languedoc, façon plomb, démontrait que c’était lui le patron en liquéfiant tout ce qui se présentait à lui, le goudron comme les gens. Après que les grands fauves que nous sommes aient pu s’abreuver, protégés du prédateur astral par quelques parasoleils judicieusement implantés, nous pûmes nous écrouler à Villemagne-L’Argentière, lieu de résidence pour trois semaines de notre première cure à Tamalou- les- Bains.

J’étais à cent lieues d’imaginer et pourtant nous n’étions qu’à sept kilomètres à vol d’hirondelle, que cet endroit dévolu à réparer les corps meurtris, puisse générer le phénomène exactement inverse, et ce, pendant une bonne partie de ma présence là-bas.

Bref, même mes vacances en prennent, et alors que je m’apprêtais à arborer fièrement la panoplie du curiste lambda, je me trouvais à nouveau obligé de troquer mon peignoir de bain pour un costume d’enquêteur amateur. Mais n’allons pas trop vite en besogne, surtout quand on est en tong, et commençons par le début de ce séjour qui passait obligatoirement par un rendez-vous avec le médecin habilité à prescrire les programmes de soins.

L’administration des thermes était installée à l’intérieur d’un château imposant entouré d’arbres centenaires. Cet édifice du début 19e nous indiquait que ces thermes n’étaient pas nés de la dernière pluie, laquelle pourtant aurait fait du bien à tout le monde. Les touristes avides de températures un peu plus décentes erraient dans l’ombre des hautes futaies tels les zombies à la recherche de leur ration quotidienne de sang. Le bureau du médecin, gigantesque par ses dimensions en regard de celles du château, semblait avoir définitivement annexé les autres pièces, les réduisant à la portion congrue. La salle d’attente était pleine comme un œuf et les patients, tous plus tordus les uns que les autres, semblaient participer au concours du biscornu le plus inventif.

La secrétaire, qui paraissait faire sa sieste les yeux ouverts pour donner le change, s’anima d’un seul coup d’un seul, pour éructer avec un fort accent local notre nom. Puis, cette autochtone nous introduisit dans le bureau du docteur où un petit bonhomme rougeaud, calé au fond d’un siège qui paraissait l’envelopper progressivement telle la plante carnivore qui va bientôt se refermer sur sa proie, s’écria :

- Bonjour, Madame Monsieur. Prenez place, je vous prie.

- Bonjour Docteur, nous avons une cure qui démarre demain dit Véro tout en lui donnant les documents de notre médecin référent.

Après avoir nous avoir examinés tous les deux, il débita avec un enthousiasme proche du néant, les recommandations d’usage sur la meilleure façon d’appréhender la cure ainsi que sur les effets immédiats et à long terme de celle-ci. J’écoutais tout cela d’une oreille distraite, persuadé que ce type de médecine était aussi efficace qu’un pansement sur une jambe de bois ou la capacité pour un djihadiste, d’avoir de l’empathie pour son prochain.

- Partons à la découverte du centre-ville proposa Véro , une fois sortie.

- OK répondis-je tout en observant la population qui déambulait dans les rues. Déambuler, le mot est tout à fait adapté ou pour être plus précis, c’est déambulatoire qu’il conviendrait d’employer. En effet, une flotte d’appareils médicaux de toutes sortes, en partie à roulettes, motorisée ou pas, allant du déambulatoire traditionnel aux matériels les plus sophistiqués en fonction du handicap considéré, avait pris possession de la rue. Ces équipements étonnants étaient chevauchés, poussés ou tractés par des pauvres bougres tous plus abimés les uns que les autres. Ainsi, une véritable cour des miracles prenait possession des lieux, à des heures bien précises correspondant au début ou à la fin des traitements journaliers, renvoyant les véhicules classiques à une autre époque.

Il faut dire que les thermes de Tamalou-Les-Bains sont très réputés et que les malades viennent de partout pour tenter d’alléger leur fardeau. L’étrangeté de la chose, c’est que les 1 000 patients par jour qui traversent ce gros bourg, donnent l’impression que la population valide a quasiment disparu, victime d’une attaque nucléaire ou pire encore de la honte d’être bêtement normale. Passé ce moment de stupeur où l’on se prend à trouver par comparaison le premier obèse qui passe définitivement beau, on remercie la providence d’avoir été plutôt clémente avec soi et l’on se prend à relativiser ses propres misères. Ce qui fait qu’en toute logique, côté valide, on en arriverait à remercier Dieu d’avoir été épargné (pour ceux qui y croient) et à l’inverse côté patient, on serait plutôt enclin à le maudire.

En résumé, comme dirait Maître Hubert Félix Thiefaine :

« Si j’étais Dieu, je ne croirais pas en moi et si j’étais moi, je me méfierais ».

LE PREMIER JOUR

C’est donc avec l’enthousiasme du mouton conduit à l’abattoir que nous nous pointâmes, malgré tout à la première séance de soins, le lendemain en fin de matinée. Cinq soins pour chacun avaient été prescrits par le « rougeaud » pour tenter de faire disparaître nos problèmes d’arthrose respectifs. Ainsi, nous avions comme réjouissances journalières :

- Bains de boue,

- Séance en piscine,

- Poses de cataplasmes à base de kaolin,

- Douche pénétrante,

- Séance de massage en baignoire,

- Massages.

Que d’eau ! Que d’eau ! Que d’eau ! Comme dirait l’autre.

Concrètement, à partir de 11 heures, des vagues successives de patients libérées toutes les 10 minutes s’engouffraient dans l’Antre des soins, dès le GO donné par la responsable de l’accueil, telle la misère sur le monde ou le migrant vers l’occident. Ainsi à la queue leu leu, chacun suivant l’autre, et ce pendant environ 3 heures, un millier d’individus formant une gigantesque chenille humaine progressait à marche lente vers le Graal thermal. Cette fourmilière humaine s’arrêtait ponctuellement pour cause de traitement avant de reprendre son chemin de soins.

Chacun avançait revêtu du même peignoir de bains de couleur blanche, avatars tous semblables effectuant inlassablement et inexorablement ses tâches médicales. Comme si cela ne suffisait pas, la plupart du temps, nous étions condamnés à suivre des derrières déformés par la graisse et bien en évidence, car débordant généreusement de leur contenant. La chance de suivre un corps bien fait était semblable à celle de gagner le gros lot du loto et relevait donc directement du fantasme. Bref, le soir du premier jour, nous étions prêts à déguerpir au plus vite telle la multinationale vers les paradis fiscaux et pensions qu’un soin aurait dû être prescrit en complément des autres :

- « traitement de la dépression générée par le premier jour de cure ». 

Toutefois pour minorer cette vision qu’on pourrait croire d’apocalypse, il faut préciser que la population curiste était composée à parts égales de gens en surpoids et de corpulence normale, les gens particulièrement abîmés ne représentant qu’une faible partie d’entre eux. D’autre part, même si ce type d’établissement est au SPA ce que le FN est à la démocratie, l’absence de glamour et de considération pour sa petite personne sont contrebalancés par les résultats très positifs générés par ce type de cure. Ainsi, l’idée peu enthousiasmante d’avoir comme seul horizon pour les 18 jours à venir, le gros derrière d’une patiente confite dans la graisse, devenait finalement supportable.

Bizarrement, au bout de trois jours de traitement, je m’écroulai brutalement comme le boxeur atteint par un KO foudroyant. Sentiment de fièvre et de froid en décalage total avec les 40 degrés affichés par le baromètre local, mais en adéquation parfaite avec ma température corporelle, laquelle affichait également 40 degrés. Match nul !

Me revenait alors subitement en mémoire, les informations délivrées par le médecin lors de notre premier entretien :

- «Il se peut, qu’après quelques jours de traitement, votre corps réagisse de façon violente aux propriétés chimiques et physiques de l’eau thermale au point que vous soyez obligé de vous aliter l’espace d’une demi-journée ou d’une journée. Ne vous inquiétez pas, c’est la preuve que vous êtes particulièrement réceptif au traitement, on appelle cela le syndrome thermal ».

C’est exactement ce qui était en train de se passer. Et moi qui avais considéré les informations délivrées par ce toubib comme relevant directement de la propagande maison pour son petit business, je me trouvais fortement dépourvu quand la fièvre fut venue.

Et la suite continua à lui donner raison puisque mes douleurs arthritiques disparurent pendant quasiment une dizaine de mois me rendant alors « addict » à cette cure annuelle. Du coup, moi qui jusqu’ici glosais sur le côté moutonnier des gens retournant au même endroit, comprit que bien souvent les préjugés s’arrangent avec la vérité.

LE 4e JOUR

Fort de la conviction d’entreprendre une action bienfaitrice pour les abattis avec qui je fais équipe depuis mon arrivée sur la planète terre, je me présentai dans les meilleures dispositions, le matin de ce 4e jour. Ainsi la corvée de se mettre en tenue de bain en même temps que la moitié de l’humanité et la perspective de reprendre ma place dans le trafic pédestre derrière un fessier peu avenant ne me causa aucun stress. J’attaquai donc mon premier soin qui consistait à « glander » pendant 10 minutes dans un bain de boue, avec l’enthousiasme du golfeur qui réussit un birdie. Ce soin, hormis le fait que j’avais de chaque côté de ma personne, un sumo d’appellation d’origine contrôlée, était plutôt agréable, car la capacité de flottaison était accentuée par la consistance de cette boue. Toutefois pour les sumos, ce phénomène ne se produisit pas, la nature considérant qu’à l’impossible, nul n’est tenu. Puis, j’allais me rendre vers l’endroit du deuxième traitement quand une chute attira mon attention. À l’endroit où les curistes pouvaient se rafraichir tout en se soignant en buvant de l’eau de source, je vis tomber une femme d’un certain âge. Je me précipitais vers elle pour l’aider, mais les yeux révulsés et ce léger filet de bave aux commissures des lèvres qui me firent face lorsque je tentai de la relever, m’indiquèrent que la faucheuse avait récupéré du monde. Pendant ce temps, un vieux monsieur qui avançait très lentement, à la limite du surplace, tenta de se rafraîchir et tomba dès la boisson absorbée, mais au ralenti, quand on est lent on est lent! Même mort. Alors je compris que le problème venait de l’eau de source et me positionnai devant le robinet pour empêcher les gens de boire. Un des deux sumos me voyant m’agiter et n’ayant pas aperçu les morts qui étaient en contrebas, considérant que j’étais une sorte d’illuminé, fit pression (au sens propre) pour s’abreuver. Quand 130 kilos s’avancent avec la détermination de récupérer ce qui lui semble dû, il est difficile de résister. Au moment où j’allais lui expliquer que l’eau devait être contaminée, une sirène retentit pour diffuser un message personnel rendant le mien inaudible. L’individu, conforté dans son jugement me concernant, absorba un verre entier d’eau source avant de tomber créant une sorte de monticule humain.

Me repositionnant devant le robinet, j’interpellai un membre de l’établissement qui passait par là et qui aidait un pauvre bougre dont le déplacement aléatoire relevait à chaque enjambée de l’exploit. Après l’avoir installé prudemment sur un banc, il avertit sa hiérarchie via son téléphone portable, bloqua l’accès au robinet suspect et me demanda de rester présent. Par chance, les trépassés avaient eu la bonne idée de choir derrière une sorte d’estrade sur laquelle on était obligé de monter pour se servir à boire, si bien qu’en passant sur le parcours habituel menant d’un soin à un autre, on ne pouvait pas les voir.

Dans les secondes qui suivirent, des « nettoyeurs » firent place nette en chargeant les corps dans des caisses marquées fragiles, délicatesse suprême, mais à mon sens involontaire du monde des vivants vers celui des macchabées.

« 3 morts en quelques secondes. Pas de doute, on nait peu de choses et on ne meurt pas mieux » pensais-je intérieurement.

La Direction au grand complet, soucieuse de ne pas créer de mouvement de panique, se pointa, revêtue de la panoplie complète du curiste et fit intervenir la maréchaussée dans le même accoutrement. Toutefois, les peignoirs étant passés, sans même que les tenues initiales ne soient enlevées, il en résultait une vision étonnante mélange de Boney M et de chez Michou .

En un instant, la scène de crime était circonscrite, balisée et protégée des intrus éventuels via des barrières posées sur tout le pourtour de la zone suspecte.

Le Directeur technique de la station thermale, un petit homme frêle, et le chef de la gendarmerie version blanche de Mike Tyson, avec des arguments frappants, commencèrent à prioriser les investigations.

La première chose à déterminer dit « Tyson » dont le peignoir lui allait aussi bien qu’un string à un éléphant, est de savoir s’il y a eu réellement empoisonnement de l’eau.

     - Effectivement, confirma le Directeur technique en accompagnant son affirmation d’un hochement de tête généreux destiné à montrer son total accord avec le représentant des forces de l’ordre comme s’il avait peur d’en prendre une.

J’appris à cette occasion que même si les sources autour de Tamalou sont assez nombreuses, seules deux d’entre elles servent à l’alimentation de la station via des forages, une troisième étant en réserve.

- C’est vous qui avez donné l’alarme ?

Me demanda un gendarme mandaté par Tyson pour m’interroger et se poussant du col tel l’adjudant se voyant déjà colonel. 

- Effectivement, répondis-je. J’ai d’abord vu une dame s’effondrer, mais à ce moment-là je n’avais pas fait le lien entre l’absorption d’eau et la chute de cette personne. C’est quand j’ai vu la même action se reproduire, mais cette fois-ci avec quelqu’un d’autre que j’avais vu boire préalablement, que j’ai compris qu’il y avait peut-être eu un empoisonnement de cette buvette.

Toujours sur le même ton important et affublé de rangers aux pieds qui, en complément du peignoir de bain en faisaient une sorte de pub vivante pour la GAY PRIDE , il me lança d’une voix sourde qui tranchait avec l’image efféminée qu’il dégageait :

« Et la personne là, dit-il en désignant le sumo. Comment se fait-il qu’on n’ait pas pu la sauver, me demanda-t-il d’un air à la fois interrogatif et suspicieux ?

- J’ai bien tenté de lui venir en aide, mais bizarrement ma façon de faire a provoqué l’effet inverse du but recherché. Cette précipitation à le convaincre de ne pas s’approcher de ce point d’eau l’a rendu méfiant. En plus, au moment où je lui parlais, une annonce personnelle était délivrée par haut-parleur, brouillant, semble-t-il, définitivement mon message.

- Me regardant bizarrement comme s’il venait de découvrir que j’avais un nez au milieu de la figure, il répondit OK alors que j’avais la certitude de l’avoir perdu en cours d’explication.

     Je pensais également tout en espérant m’être trompé que je venais d’inaugurer la liste des suspects potentiels. En effet, sur un certain nombre d’affaires, celui qui informe la police d’un délit ou d’un crime en est aussi l’instigateur. Il était donc logique de commencer par là, donc de commencer par moi.

Pendant ce temps, la police scientifique avait prélevé toutes sortes d’indices potentiels dont notamment quelques litres d’eau à divers endroits jugés stratégiques, afin d’effectuer des analyses immédiates.

     - Le circuit d’alimentation en eau de la buvette pour les curistes est distinct de celui qui gère l’alimentation en eau de la station précisa le Directeur technique.

     - Ce qui fait que le risque d’empoisonnement des curistes avec l’eau par voie cutanée ou par absorption malencontreuse lors des soins est exclu, compléta Tyson au moment où une première couture de son peignoir céda au niveau des épaules.

     - Effectivement, confirma le Directeur technique en accompagnant à nouveau son affirmation d’un hochement de tête allant de la grande ourse jusqu’au centre de la Terre.

     - Nous allons mettre en place une fausse équipe de curistes qui se mélangeront aux patients pendant toute la durée des soins, et ce pendant une période pour l’instant indéfinie compléta Tyson. Puis il se pencha pour récupérer du matériel scientifique et on entendit un bruit progressif de déchirure accompagnant son mouvement. Le peignoir céda alors définitivement et s’ouvrit en deux sur toute sa longueur pour devenir une sorte de traine étrange, quoiqu’élégante.

- Très bien, répondit le directeur technique tout en débarrassant le chef des gendarmes des restes de ce vêtement et en lui demandant s’il devait mettre en place des actions spécifiques.

- Non, répondit Tyson en fait dénommé Lisson et de son prénom Paul. Il ne faut pas changer quoi que ce soit et par la suite, rendre plus méfiant le criminel.

- Puis-je continuer mes soins, demandais-je à Paul Lisson ?

- Brigadier-chef, avez-vous terminé avec monsieur ?

- Bientôt mon capitane, hurla le brigadier. Concomitamment, il se mit au garde-à-vous en se raidissant comme si la souplesse devait être exclue de ce monde tout en informant la terre entière de cette nouvelle.

-Repos Brigadier, parler fort pour être compris ne veut pas dire hurler, vous voyez la différence ?

- Oui capitaine, hurla à nouveau le brigadier sans réfléchir puis, prenant progressivement conscience de ce qui venait de lui être dit, baissa progressivement le son pour me demander de décliner mon identité de façon cette fois-ci presque inaudible.

UNE JOURNÉE TYPE

Après avoir signé une déposition retraçant par le menu ce que j’avais vu, entendu et fait, je pris congé du brigadier-chef qui, suite à l’intervention de son N+4 comprit que N était déjà avantageux pour lui.

     Puis je repris ma place dans le trafic à la recherche de mon 2e soin qui consistait en des cataplasmes à base de kaolin sur les articulations fatiguées par l’arthrose. Chaque individu était installé dans une cabine individuelle pour une durée de 20 minutes. Cet endroit était vaguement nettoyé des miasmes du patient précédent par un jet d’eau supposé être dirigé vers un banc en mousse destiné à recevoir le curiste. Dans la plupart des cas, l’opérateur en charge de cette opération s’en fichait comme de son premier joint et une direction appropriée du jet était aussi aléatoire que la fin du réchauffement climatique. Ainsi, assez souvent les miasmes des uns faisaient connaissance en toute simplicité avec les miasmes des autres. J’observai donc craintivement l’état de la personne qui me précédait dans ladite cabine et me retrouvais souvent en appui sur la pointe des fesses et des talons pour limiter la surface du corps en contact avec le banc. Cette position étant intenable pour toute la durée du soin, je finissais par retomber inexorablement sur les traces encore chaudes du précédent curiste, créant chez les plus chanceux, un fort sentiment d’appartenance au groupe, ce qui n’était pas mon cas.

     Puis la migration reprenait, cette fois-ci vers la séance dite de la baignoire. Un nettoyage approximatif où l’arrêt du remplissage automatique systématiquement au même endroit faisait qu’une sorte de ligne Maginot naissait soit de l’usure de la baignoire ou pour les plus craintifs comme moi, d’une série de strates à base de crasse. Au bout de quelques instants, un jacuzzi se mettait en action et une soignante venait passer un jet d’eau miracle sur les articulations défaillantes. Après cette intervention, au bout d’une dizaine de minutes, l’opération vidage s’activait, celui de la baignoire annonçant le vidage des lieux par le curiste.

     Le soin suivant dit « les trombes » se situait de l’autre côté du bâtiment. Il fallait donc progresser dans un dédale de couloirs en se frayant un passage à travers la foule, le tout ressemblant à s’y méprendre au métro aux heures de pointe. Arrivé sur place, il convenait d’assimiler très rapidement la logistique spécifique à ce soin. En effet, la désorganisation éventuelle de cet ordonnancement judicieusement élaboré pouvait créer un gigantesque embouteillage humain militant fortement pour la limitation des naissances. Tout tenait en deux couleurs et un chiffre. Il y avait les bleus, les rouges et une numérotation allant de 1 à 18. La patronne des lieux, une matrone dotée d’un physique généreux sans pour autant être avantageux et d’un fort accent local, régnait sans partage sur ce dispositif. Elle passait son temps à hurler « bleu, on y va, attention c’est parti » puis « rouge, on sort, attention c’est fini ». On sentait chez elle, à la fois un parfum à base de lavande entêtant et la nécessité de plaisanter en permanence pour ne pas virer folle suite à ces actions systématiques et répétitives.

Concrètement, les arrivants devaient mettre leurs effets dans les boxes de la couleur indiquée par la chef, tout juste libérés de la fournée précédente de curistes. Ils devaient également mémoriser le numéro figurant sur la patère destinée aux vêtements qui correspondait aussi au numéro de positionnement dans la piscine. Puis dès le signal d’entrée en piscine hurlé par la matrone, l’ensemble des élus se précipitaient vers leur numéro fétiche avant de quitter les lieux, dès le signal de sortie rehurlé. Le soin par lui-même consistait en un pétrissage de toute la colonne vertébrale via des trombes d’eau pulvérisées à des puissances variables. Celles qui étaient de forte intensité obligeaient le patient à se tenir à des barreaux prévus à cet effet au risque sinon d’aller embrasser la personne positionnée en face de lui, ce qui faisait qu’on avait rarement envie de lâcher prise.

Il arrivait que le système se grippât quand deux curistes se disputaient la même place dans l’eau, persuadés chacun d’avoir correctement mémorisé leur numéro de placement alors que l’espace délaissé et forcément vacant était là à la vue de tous, la piscine ne comptant que 18 emplacements. Quand on assiste à ces grands moments où la nature humaine semble s’exprimer pleinement, on en déduit que la possibilité d’une paix au Proche-Orient est aussi vraisemblable que l’ouverture d’esprit pour un cégétiste.

De retour dans le labyrinthe, je me dirigeais alors vers ce qu’on appelle les « douches pénétrantes », lesquelles étaient dispersées sous forme de pluie fine sur les endroits à soigner. En général, l’eau était trop chaude et après demande de réglage auprès du personnel médical dispensant le soin, elle devenait trop froide. Ce chaud et froid alternatif dont je ne sais pas s’il était bénéfique pour mes articulations faisait par contre disparaitre dans l’instant mes capacités d’empathie pour la gent médicale locale.

     L’avant-dernier soin consistait à faire trempette dans une piscine remplie d’une eau de couleur ocre et là hormis le sentiment de prendre 120 ans en se transformant progressivement en rouille, il ne se passait strictement rien pendant 20 minutes. La plupart des gens «s’emmerdant» considérablement essayaient de converser avec leur voisin pour tuer le temps. N’ayant aucune envie de parler de la pluie, du beau temps ou des raisons de ma venue en ces lieux, je décidai de fermer les yeux pour couper court à toute sollicitation éventuelle. Mes voisins immédiats, alors frustrés d’une conversation possiblement aussi intéressante que celle émanant d’un alcoolique tentant de battre son record personnel, essayaient désespérément de trouver un curiste de substitution tout me regardant bizarrement.

     Quant au dernier soin, il aurait pu faire rêver puisqu’il s’agissait d’un massage. Me remontaient alors en mémoire, les magnifiques massages thaïlandais, balinais ou même tibétains testés à travers la capitale avec Véronique, mon initiatrice en la matière. Mais loin des délices entraperçus quand la masseuse espérée fait place à un apprenti boucher venant travailler la viande. Du coup, ce soin qui devait finir la journée en point d’orgue la termina simplement en point final.

 

 

 

Crédit photo
Bipasha Bhattacharya ©