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Salut cher Timba !

Aujourd’hui j’ai été arraché du sommeil plus tôt que d’habitude, 03h du matin, suite au réveil maladroitement programmé la veille. En réalité, c’est à cette heure que je me levais en temps de classe. Mais hier, avant de me coucher, partagé entre somnolence et éveil, j’ai activé le réveil sans m’en apercevoir. Je viens de le payer très cher quand le téléphone m’a signalé le terme du compte à rebours. Irrité, furieux, déconcerté, je ne pouvais rien faire ; le fait était déjà consommé, le sommeil ne reviendrait pas dans l’immédiat. C’est alors que je me suis mis à consulter les notifications reçues jusque-là. Une d’elles m’a conduit à ta publication du 06 juin 2017 sur Facebook, et qui avait pour objet l’appel à texte pour le troisième numéro de la Revue Des Citoyens des lettres. Un remords m’a tout de suite envahi : sans doute que tu me prendras pour un menteur de première catégorie. Pour cause, parmi les réactions immédiates à  l’annonce, figurait la mienne, la première d’ailleurs, où je te rassurais que j’allais envoyer mon récit.

Je te prie vraiment de ne pas croire que je suis de ces personnes qui ne tiennent pas leur parole. En réalité, je n’avais pas oublié la promesse. Je m’étais découragé parce qu’un de ces jours, déterminé à réaliser ma promesse, je me décidais à rédiger une bonne partie de ma narration avant d’aller me coucher. Je voyais déjà le pari gagné : une page, deux pages, trois pages … il faut avouer qu’il y a des jours où on a la plume féconde. Ma nouvelle s’allongeait et j’étais serein. Comme elle sait souvent surprendre, Eneo1 fit des siennes et mon travail que je n’enregistrais pas au fur et à mesure disparut complètement. Pauvre de moi ! Je te fais grâce des émotions qui m’ont habité cette nuit-là.

Voilà ! Il est 03h15 minutes, je me décide à t’écrire cette lettre dans la solitude de la nuit, espérant que Eneo soit endormie, pour te dire que je suis un homme de parole, et te faire part du texte disparu. Je sais ne plus pouvoir le restituer dans sa forme initiale. C’était une histoire vécue que m’avait racontée un ami. Je ne sais plus comment je l’avais commencée, mais cette fois on peut se contenter de ceci :

Quand le téléphone se mit soudain à sonner, allait-on enfin dire à Monsieur le proviseur que son invité était proche ? Que la boue et le mauvais état des routes le tenaient prisonnier ? Ou, au pire des cas, qu’il avait annulé sa visite ? Il fallait juste décrocher le téléphone pour le savoir, mais le proviseur ne cessait de penser à tout cela. Vous savez, quand on attend quelqu’un qui tarde à venir, le moindre bruit de pas, le moindre signal d’une présence étrangère, ou comme maintenant, le moindre signal d’un appel est tout de suite, et a priori, associé à la venue de la personne attendue. Son collègue le regardait se dépêcher à décrocher le téléphone.

« Un instant, s’il vous plaît. Je crois bien que c’est lui ».

Il fallait vraiment que ce soit le délégué régional des enseignements secondaires, car la patience du proviseur atteignait déjà les limites du raisonnable. Il avait pu la conserver plus ou moins intacte grâce à la conversation qu’il tenait avec son collègue, et au cours de laquelle ce dernier était parfois resté évasif. On aurait bien pu se dire qu’il pensait à tant d’autres choses au même moment. Maintenant, le proviseur se redressait dans son fauteuil, son dos profitait alors de toute la souplesse du dossier, sa main gauche occupait quant à elle son accoudoir, et sa main droite tenait le combiné. On pouvait voir son index agité qui, de temps à autre, se levait et se reposait sur le dos du combiné. Son collègue le regardait fixement, son visage donnait une impression de sérénité.

Le proviseur avait déjà engagé la conversation au téléphone. Son collègue n’avait pas détourné son regard, ses yeux étaient fixés sur le visage de l’autre, comme pour deviner ce que son interlocuteur lui disait. Il partageait, ironiquement, l’inquiétude de l’autre pour son invité qui tardait à arriver, mais déplorait le chemin absurde qu’avait emprunté leur discussion, suite à une brèche ouverte par une méprise du proviseur et sa secrétaire. Sans doute était-il en train de le découvrir. Peu importe. Vingt secondes déjà qu’il était au téléphone et il n’avait prononcé que trois énoncés :

« Allô ?»

« Oui, bonjour monsieur ! » et

« C’est le délégué régional des enseignements secondaires ?»

Il continuait d’écouter. Son interlocuteur parlait toujours.

Peut-être quarante secondes déjà. L’expression du visage du proviseur changea subitement : on vit clairement ses sourcils se froncer, puis se redresser aussi vite, ses mandibules exécuter ensuite un mouvement qui indiquait que ses deux mâchoires se pressaient l’une contre l’autre. Il se dessina sur son visage un sourire furtif. Au bout de cette instabilité émotionnelle, il jeta un regard vers son collègue, celui-ci sourit, peut-être s’était-il imaginé ce que traduisait cette action ou même l’avait-il comprise. On entendit enfin le proviseur parler à nouveau. Il avait l’air bien confus. De toute évidence, son interlocuteur lui tenait un discours auquel il ne s’attendait point :

« Mais… je crois qu’il y a confusion, je suis ici avec le nouveau proviseur du lycée classique de Nkolbisson.   En êtes-vous l’ancien ? »

Son collègue du lycée classique afficha sur le visage l’air du préoccupé, on le voyait prêt à parler, mais il s’abstint. Le combiné venait de reprendre sa place sur la base. Dans son même air confus, il demanda à son collègue du lycée classique :

« Qui dites-vous que vous êtes ? »

                                         ****

« Il y a un instant, quand je me suis rendu compte qu’il était déjà 11h00, je me demandais si vous ne deviez pas être déjà proche». «Il faut reconnaître que c’est avec beaucoup de chance que je n’ai pas été retardé par le mauvais état des routes, sans doute parce que la pluie nous a pardonné ce matin. Je crois que votre secrétaire a dû me confondre tout à l’heure…»

«Avec le délégué régional ? Pourtant je lui ai bien précisé que d’un moment à l'autre mon collègue du lycée classique allait arriver, et un peu plus tard le délégué»

Il sourit légèrement et fit le jeu : « Oui, elle m’a confondu avec le délégué régional». Le proviseur priait son collègue d’occuper le canapé qui se trouvait juste en face de son bureau. Un regard ici, un regard là : l’intérieur n’était pas vraiment bien organisé, c’est le moins qu’on puisse dire. Une corbeille de papiers, à gauche du bureau, était couchée au sol. Là, là et là on trouvait trois trombones par terre, du moins, ceux que l’invité avait pu voir. Sur le bureau, les documents allaient un peu dans tous les sens. Comme s’il avait lu dans ses pensées, l’hôte lança à son invité :

« Tout est souvent mieux organisé qu’aujourd’hui. Je me suis absenté pendant quelques jours pour visiter mon chantier en ville, et c’est ma secrétaire qui a foutu tout ce bordel, en cherchant quelques documents administratifs.»

Il fouillait un tas de papiers, parlait simultanément de lui et de son établissement à l’invité : depuis quand il était là, son ancien lycée, l’effectif des élèves… Ils trouvaient en ce dernier point, matière à discuter sur la pandémie des effectifs pléthoriques dont souffrent presque tous les lycées du pays.

Il essayait, en marge de la conversation, de trouver un document, pour pouvoir expliquer son projet avec les données exactes. Le troisième classeur-dossier lui offrait un autre tas de paperasse à fouiller.

« Bien, je crois que je l’ai »

Il se leva, alla rejoindre son collègue sur le canapé.

« Vous voyez, dit-il en lui présentant le document. C’est un dossier que j’ai conçu lorsqu’on m’a annoncé la visite du délégué régional. En effet, j’ai un ami, un grand homme d’affaires, qui m’a dit que dans cinq mois, il aurait un arrivage d’ordinateurs, environ deux-cents. Il m’a proposé 50% sur le bénéfice qu’il réaliserait si je trouvais un projet dans lequel il vendrait au moins cent machines. J’ai tout de suite été tenté par le projet de la construction d’une salle multimédia dans mon lycée et qui  serait équipée de cent-cinquante machines. Je souhaite que le projet soit lancé le plus tôt possible. L’idéal c’est qu’à la rentrée scolaire prochaine la salle soit opérationnelle. Dans ce dossier, il y a les données concernant le site éventuel du projet.  J’y évalue également l’importance de cette infrastructure pour nos élèves et pour les enseignants, beaucoup d’autres détails en plus. Le plus difficile est pour moi de gagner le marché d’équipement. Vous savez, c’est généralement le Ministère qui s’en charge en procédant par appel d’offres. Quant à la pertinence du projet, elle est d’avance acquise ».

Il arrêta de parler. Peut-être son collègue s’y opposait-il ? Il n’avait rien dit depuis qu’il lui parlait du projet. Le proviseur refusait de conclure que qui ne dit mot consent. Le contexte n’était pas de nature à admettre le silence comme équivalent du consentement. Curieux, depuis presque cinq secondes que le proviseur avait cessé de parler et qu’il pensait à ce que se dirait l’autre, celui-ci restait dans la même position : légèrement courbé vers l’avant, les coudes écrasant ses cuisses, les yeux fixés sur le document.

Le proviseur fit comme s’il cherchait une position un peu plus confortable sur le canapé, et donna légèrement un coup d’épaule à l’autre. Le geste simulé eut l’effet escompté :

« Je réfléchis à cette préoccupation que vous avez pour vos élèves »

« Je vous trouvais un peu absent. Alors, je tenais vraiment à vous rencontrer avant l’arrivée du délégué pour discuter avec vous à ce propos. Quand j’avais parlé du projet à un collègue, il m’a dit que le nouveau proviseur du lycée classique était un grand ami du délégué régional, et qu’ils entretenaient de très bonnes relations. Je souhaite que votre amitié avec lui m’aide à le persuader de l’importance du projet tout à l’heure quand il viendra, c’est-à-dire que vous parliez du projet avec lui en des termes qui sauront le séduire. Si tout se passe bien, vous aurez une récompense digne du service rendu. Je regrette que la première fois qu’on se rencontre, ce soit pour vous demander une faveur ».

« Ne vous inquiétez pas, monsieur le proviseur. Même s’il faut entrer dans la peau du délégué régional pour vous accorder cette faveur, je le ferai ».

Il regarda le visage de son hôte, un sourire l’illuminait. Il ajouta :

« Il n’est pas poli de vous intéresser aux gens seulement quand le besoin vous tient »

« Merci infiniment ! Je vous réitère que je suis vraiment désolé de ne pas être passé vous voir depuis que vous avez été affecté par ici. Je serai déjà passé vous rendre visite si chaque semaine je n’étais pas obligé de me déplacer pour la ville. Vous venez de me donner un avant-goût de réussite du projet, merci !»

Le proviseur rangea les documents, retourna dans son fauteuil. Il regarda sa montre, 11h35 min. Le retard devenait préoccupant : « Le délégué ne doit pas être loin d’ici.» Il rangeait les documents qui étaient versés çà et là sur son bureau. Pour que son collègue se sente entretenu, il lui posait des questions sur son nouvel établissement, il se renseignait si tel ou tel autre enseignant était encore là et expliquait quelles bonnes relations il avait entretenues avec eux. Le téléphone se mit soudain à sonner. Le proviseur interrompit la conversation :

«Un instant, s’il vous plaît. Je crois que c’est lui ».

                                  ****

« […] Si je gagne le marché de cent-cinquante machines, ça serait vraiment l’idéal. Je crains cependant qu’il me dise que c’est trop coûteux et que ça prendra du temps, comme on sait souvent le faire pour se débarrasser de certains projets dans l’administration. Il m’a dit qu'avec le prix qu’il fixera, il allait gagner 40% sur le prix de vente. Donc il me reviendrait 20% du prix de vente. Si les données sont exactes, cela représentera environ… de toute façon, beaucoup d’argent. Si le proviseur du lycée classique pouvait m’aider à convaincre son ami,  je m’en  réjouirais énormément. Il faut qu’il arrive et qu’on en parle. Il ne faut surtout pas qu’il soit froid avec moi. Je sais qu’il peut penser à tout, sauf s’imaginer que je l’appelle pour lui demander une faveur, la première fois qu’on va se voir ! Il ne va pas tellement m’en vouloir, je me rappelle que plusieurs fois quand j’étais affecté dans une nouvelle région, je prenais la peine moi-même de faire la connaissance de mes collègues en leur rendant visite. Ce n’est pas un argument qu’il faudra utiliser, il risquerait de l’irriter.

Si le projet marche, je dois terminer la charpente de ma villa. J’espère que j’aurai déjà suffisamment épargné. D’ici là, il me faudra multiplier les entrées. La location des voitures me rapporte beaucoup  cette année par rapport à l’an dernier. Les données du mois dernier étaient très encourageantes. Est-ce que les documents administratifs étaient réellement ce que cette dame cherchait dans mon bureau ? Il y a trop de papiers sens dessus dessous. Quelle heure est-il ? 11h00 déjà ! Le proviseur du lycée classique n’est sans doute pas loin. Il devrait déjà être là. Ça c’est une journée bien chargée : une visite de mon collègue du lycée classique, une visite du délégué régional des enseignements secondaires, une réunion des enseignants et un rendez-vous avec Christelle. Je dois rentrer de là très tôt. Les soupçons de mon épouse me semblent activés depuis que […]

(On frappe à la porte).

                                    ****

« Entrez ! »

« Votre collègue du lycée classique est déjà là »

« Fais-le venir »

« Il y a un instant, quand je me suis rendu compte qu’il était déjà 11h00, je me demandais si vous ne deviez pas être déjà proche»

«Il faut reconnaître que c’est avec beaucoup de chance que je n’ai pas été retardé par le mauvais état des routes, sans doute parce que la pluie nous a pardonné ce matin. Je crois que votre secrétaire m’a confondu tout à l’heure… »

«Avec le délégué régional ? Pourtant je lui ai bien précisé que d’un moment à l'autre mon collègue du lycée classique allait arriver, et un peu plus tard le délégué».

Il sourit légèrement et fit le jeu : « Oui, elle m’a confondu avec le délégué régional ».

                                   ****

Le délégué régional tardait à arriver. Le proviseur avait bien raison d’être impatient, toutes les données concernant son projet étaient réunies, il suffisait que le délégué arrive. L’hôte l’attendait, son collègue aussi. S’il y a une chose qui n’allait pas, c’était le doute qui rongeait le proviseur. Il doutait de la capacité de son collègue à jouer le rôle qu’il attendait de lui : rendre son ami réellement intéressé par le projet et faire gagner le marché de l’équipement de la salle par le proviseur. Le doute le rongeait. Son collègue l’avait rassuré qu’il le ferait, mais son attitude contrastait avec celle qui devrait habiter un bon parleur. On le voyait parler peu. Il n’était pas ce genre de personnes qui savent tenir des conversations animées pour vous amener, mine de rien, à adhérer à leur point de vue. Il n’était pas de ce genre, il ne s’y connaissait pas. Il était dubitatif dans ses propos, quelquefois l’évasion s’y mêlait et vous aviez l’impression que quelque chose était anormal. Anormal. Peut-être sa bouche s’était précipitée à dire oui alors que son cœur, illuminé par une rationalité retardataire, refusait de corroborer. Si c’était le cas, le proviseur se rendrait compte un peu trop tard qu’une donnée était faussée, qu’il n’aurait jamais dû compter sur son collègue. Il serait donc – son collègue – de ces personnes ambiguës, ondoyantes et diverses comme Heidegger.

                                 ****

Au milieu de cette attente et de cette conversation des moins vivantes, le téléphone du proviseur se mit soudain à sonner. Ce que le visage du proviseur traduisait pouvait se transcrire de cette façon : Ouf, enfin le délégué régional !

« Un instant s’il vous plaît, dit-il, je crois que c’est lui ».

« Allô ? Bonjour monsieur !»

« Oui, bonjour monsieur !»

« Je suis désolé, je ne pourrai plus honorer le rendez-vous d’aujourd’hui, un collègue de mon établissement vient d’avoir un malaise et je l’ai conduit à l’hôpital. Nous y sommes. On pourra se voir un autre jour »

« C’est le délégué régional des enseignements secondaires ?»

« Non, le proviseur du lycée classique de Nkolbisson »

« Mais…je crois qu’il y a confusion. Je suis ici avec le proviseur du lycée classique de Nkolbisson. Vous en êtes l’ancien ?»

« Non, le proviseur actuel […] »

Le combiné quitta son oreille alors que l’autre n’avait pas fini de parler. Son collègue du lycée classique fit apparaître sur son visage une mine pensive, on le voyait prêt à parler, mais il s’abstint. Le combiné venait de reprendre sa place sur la base. Avec un air confus, il demanda à son collègue :

« Qui dites-vous que vous êtes ? »

« Je vous ai dit que votre secrétaire m’avait confondu ».

« Et qui êtes-vous ?»

Silence, puis calmement :

« Le délégué régional des enseignements secondaires».

                             ****

Voilà le souvenir de l’histoire que je comptais raconter. J’aurais bien souhaité l’écrire, mais tout s’est passé autrement. Au moment où je referme ce souvenir, les chants d’oiseaux font de plus en plus écho au-dehors, un nouveau jour se lève, peut-être l’écrirai-je enfin aujourd’hui, c’est à Eneo de voir !

C’est sur cette note d’espoir que je te quitte, à très bientôt !

 

1 Compagnie nationale d’électrification.