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Aujourd'hui, il y a un vent terrible. J'ai quitté la clinique à midi pour pouvoir rentrer à pied par les hauteurs, comme je l'avais prévu ce matin. C'était magnifique et exaltant. Je n'ai croisé personne et j'ai profité de la lumière, de la mer au loin, si belle, presque violette avec des festons blancs qui semblaient figés. L'écorce des eucalyptus s'arrachait en lambeaux et glissait sur le sol comme sur de la glace. J'ai, une minute, espéré être une feuille pour participer à leur ballet virevoltant.
On dirait qu'elles se tiennent et dansent ensemble; l'odeur des arbres était brassée par les mouvements de l'air. 
On dit du vent qu'il rugit, qu'il gronde, qu'il souffle... Il respire en fait, mais selon son humeur, plus ou moins fort. S'il est en colère, amoureux, en retard. Il soupire ou il s'agace.
Quand il fait un détour par les pôles, il se charge de froid, quand il rencontre un cousin venu du sud, ils se percutent et s'épousent, de leur union naissent des murmures imprécis, des températures indécises qui mettent du désordre dans nos pensées déjà vagabondes.

Pendant cette heure, j'ai été parfaitement heureuse.

Je le suis toujours quand je me sens accueillie dans un mouvement naturel dont la force, loin d’être hostile, nettoie notre regard de toute appréhension et que nous considérons le monde comme un hôte bienveillant.

Je me suis précipitée pour écrire en arrivant dans la maison balayée par les courants d’air, je voulais tenter de fixer ce mouvement éolien et ses conséquences. Même la lumière bougeait.

Ce que j’ignorais alors, c’est que ce vent qui m’avait enchantée avait déraciné un arbre dans le jardin d’une commune voisine, l’avait soulevé de terre et lâché lourdement sur une jeune femme blonde qui sortait de chez elle. Son existence fut fracassée et celle de ses enfants sans qu’elle n’en puisse rien sentir. Mais eux, ils en garderaient à jamais la conscience tragique et douloureuse. Et le vent plus jamais, en faisant danser sous leurs pas les feuilles du chemin, ne chanterait à leurs oreilles comme il l’avait fait aux miennes. Le souffle chaud qui m’avait poussée dans le dos, au-devant de la contemplation des rumeurs du monde serait pour eux annonciateur d’effroi et d’incompréhension. ;

Et depuis je cherche comment avec des mots détourner l’horreur, redécrire le beau de la vie qui m'entoure.