Guy Vieilfault nous l’a avoué : Il a « commis » ses premiers vers à l’approche de la soixantaine. Lecteur familier des grands anciens (Verlaine, Rimbaud, Baudelaire, Apollinaire et Aragon, son maître) il ne s’imaginait pas - à juste titre ? - tenter d’empreindre ses pas dans ceux de ces géants. Et pourtant…

Une petite anecdote : Lycéen en terminale il avait remis une copie de ce que l’on appelait alors « explication de texte » portant sur un extrait de la Diane Française d’Aragon. Devoir sans doute correct puisque son professeur de français avait jugé opportun de l’envoyer à Aragon, lequel le leur retourna avec, en marge, quelques applications flatteuses qu’il eut la faiblesse, dit-il, de prendre au pied de la lettre. La gloire, quoi ! Il se jura alors (on n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans…) d’être Poète, ou rien. Il se targue d’avoir tenu parole : il n’est rien, ou si peu, sourit-il.

A dix-huit ans, instituteur remplaçant crapahutant aux quatre coins de la défunte Seine-et-Oise, il oublia très vite ses ambitions littéraires pour plonger dans les remous de la « vraie » vie. Certes ses poètes préférés murmuraient toujours à ses oreilles mais leur voix s’affaiblissait de plus en plus.

Les périodes de vacances aidant, il se prit de passion pour la découverte du monde et parcourut notre planète pour goûter les charmes de l’orange bleue d’Eluard. Sa compagne partageant cet appétit, ce furent des décennies de bonheur et d’émerveillement qui ne laissaient pas place aux vanités d’écriture.

Il fallut, sur le tard, un incident de parcours momentané pour que, afin d’occuper son temps libre, il découvre le plaisir d’écrire.

Ecrire, oui, mais écrire quoi ? A soixante ans on a déjà vécu, mais il pressentait que ce « vécu » ne passionnerait pas les foules. La poésie l’attirait, mais quelle poésie ? Les fleurs, les petits oiseaux, les bons sentiments, les grandes idées, la poésie messianique ? Très peu pour lui. Les souvenirs de voyage, bien sûr, mais cela ne suffisait pas et spontanément sous sa plume vinrent ces mots qui chantaient les femmes, ou plus encore la Femme.

Parvenu à un âge où l’on ne peut contempler son avenir qu’en se retournant, il est plus que jamais persuadé que les heures marquantes d’une vie sont celles de la rencontre avec l’autre.

— Souvent, lorsque je croise un jeune couple amoureux, je ressens cette fulgurance que je connus naguère (Jadis ?) et qui illumine toute une existence, nous confie-t-il.

Son chemin était tout tracé : il chanterait cette rencontre, non seulement la sienne mais celles de tous ceux et celles, connus ou inconnus, qu’il croiserait.

Les femmes sont en permanence dans ses productions bien qu’il soit aux antipodes du Don Juan ou du coureur de jupons. Il se souvient encore de l’éclat de rire de son épouse lorsqu’elle découvrit dans un article critique que l’on évoquait les « innombrables maîtresses » de Guy Vieilfault. Maîtresses de papier en vérité et qui ne risquaient pas de lui porter ombrage.

Cela lui a valut parfois de bien agréables moments. Plus que les récompenses « clinquantes », par exemple le prix Postésie 2000 remis dans la grande salle du palais de l’Unesco à Paris, il garde en lui l’image de cette petite dame timide venant le trouver à l’issue d’une modeste cérémonie pour lui dire combien elle avait aimé tel ou tel poème qui lui rappelait un instant privilégié de sa vie. Pour lui, une vraie reconnaissance et quelques minutes de bonheur.

Alors, il est toujours revenu à sa « petite » poésie,  parfois sensuelle (on le lui a parfois reproché), toujours désireuse de rencontrer l’autre, celle qui marche près de vous. Son héroïne ? La passante.

Il n’y a pas d’amour heureux a écrit le poète, peut-être, mais il y a dans l’amour tout le bonheur du monde avec en contrepoint, sur l’ubac, la nostalgie de ce qui fut et ne sera plus jamais.

Au final, il reconnaît que malgré ses multiples tours du monde il n’a toujours pas percé le mystère de l’orange bleue comme une orange.

Quant à celui de La femme…