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Les trottoirs étaient déserts et ses pas faisaient grincer la neige. Dans les rues, les congères grisâtres s'effondraient sous le poids des rares voitures qui s'y aventuraient. Où que que se pose le regard, il n'y avait que désolation. La peste avait fait son œuvre, et s'il restait quelques cadavres qui n'avaient pas été dévorés par les loups, les survivants les brûlaient, leur évitant ainsi une fin morbide. D'autres les mangeaient. Il fallait bien se nourrir.

Elle avait froid mais n'en avait cure. Il fallait qu'elle trouve à manger pour ses enfants. Elle s'engagea dans une rue sur sa droite. A l'autre bout, un homme avançait à grands pas. Vite, elle se cacha dans un recoin sombre. Avec la famine, chaque individu était potentiellement un danger mortel, et il ne fallait pas prendre de risque.

L'homme en guenilles passa devant elle sans la voir. Elle poursuivit son chemin, tourna à gauche et trouva une poubelle éventrée. Elle fouilla, retourna de vieux papiers, des bouteilles cassées, des boîtes de conserve vides. Elle lécha le couvercle de l'une d'elles pour y retrouver le goût des lentilles qu'elle avait contenu auparavant, mais il n'y avait rien d'autre. Pas la moindre épluchure de légumes. Ou alors quelqu'un était passé avant elle. Elle s'apprêtait à traverser la rue quand une voiture manqua de l'écraser. Mourir était la solution, mais ça n'était pas le moment. Pas tant que ses enfants étaient en vie et avaient besoin d'elle. Après, pourquoi pas. 

Un peu plus loin, dans le caniveau, un objet attira son regard. De loin, ça ressemblait à une  pierre jaune. Elle s'en approcha et ses yeux brillèrent. C'était un morceau de gruyère durci par le temps et le froid. Elle tenta d'y planter ses dents, et Ô miracle, le fromage s'émietta dans sa gorge. Elle l'emporta précieusement et courut dans la neige, heureuse d'avoir enfin trouvé de quoi apaiser quelques instants, ne serait-ce que pour quelques secondes, la faim de ses enfants. 

Elle passa la porte cochère d'un vieil immeuble où se terraient quelques survivants de la peste et grimpa les escaliers jusqu'au vieux grenier où elle avait trouvé refuge. Ses petits, emmitouflés sous une couverture, étaient très faibles. Ils mangèrent le fromage doucement, sans vivacité, comme si la nourriture était devenue une contrainte, un remède obligé contre la mort. Ils se rendormirent peu de temps après, épuisés. Elle se dit qu'ils ne passeraient pas la nuit, et qu'elle aussi finirait par se laisser mourir. A quoi bon courir les rues, affronter le danger, juste pour un morceau de fromage avarié ? Par un espace laissé par une tuile manquante, elle regarda les toits de la ville couverts de neige. La nuit tombait et le ciel se teintait d'un gris sournois. Aucune lumière ne filtrait à travers les persiennes closes des appartements. Aucune fumée ne s'échappait des cheminées qui se dressaient vers le ciel, vestiges d'un confort passé. Elle retourna auprès de ses enfants et s’enfouit sous la couverture auprès d'eux, tentant de leur communiquer un peu de sa chaleur corporelle.

Le lendemain matin, aucun souffle ne soulevait plus leur poitrine. La vie avait fui leurs petits corps. Ils étaient morts vraisemblablement depuis plusieurs heures, car le grenier dégageait déjà une odeur de cadavre. Elle allait sortir de sous la couverture, lorsqu'elle vit une paire d'yeux rouges. Puis d'autres qui suivaient. Les rats. Affamés. Elle savait qu'ils n'auraient aucune pitié. Elle prit un de ses enfants morts dans sa gueule et tenta de fuir. Mais en une seconde, les rats étaient autour d'elle. Elle se dressa sur ses pattes arrière et se retourna. Il y en avait une dizaine. Elle savait, depuis le début, que la fin allait arriver par les siens. Les humains n'étaient que de faibles prédateurs. 
Alors, elle se coucha sur les cadavres de ses enfants, et attendit l'assaut.