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Les Personnages

Le Premier

Le Second

Le Clerc

Le Musclé

Première Marche

 

Pas I

Deux individus habillés en loques cueillent avec difficulté les fruits d’un arbre.  Tout à coup, un homme, avec beaucoup d’embonpoint, habillé à l’occidental, surgit.

Le Clerc. – Hé hé que faites-vous là ? D’abord, qui êtes-vous ?

Les deux individus tournent à demi, leurs faucilles toujours en l’air. A la vue de l’interpellateur, ils sont surpris et émerveillés.

Le premier. – Ah c’est toi ?!

Le second. – Oh que tu as changé !

Le premier. – Oh que tu es bien habillé !

Le second. – Ah que ton ventre est devenu tonneau !

Les deux laissent leurs outils tomber. Ils courent vers le Clerc. Celui-ci, par un geste de la main, leur défend de s’approcher.

Le Clerc. – Hé hé ! Stop ! Stop ! Dites-moi d’abord qui vous êtes.

Le premier. – Comment qui nous sommes ?

Le second. – Tu ne nous reconnais pas ?

Le Clerc. – Vous et moi avions dansé Gbéko ensemble à la même génération ?

Les deux hommes se dévisagent. Le second rit. Les deux pointent le Clerc de l’index.

Le premier et le second, ensemble. – Mais, c’est lui !

Le Clerc. – Qui lui ?

Le premier. – Pourquoi fais-tu ainsi l’important ?

Le second. – Pourquoi deviens-tu ainsi hautain ?

Le Clerc, se tournant vers le premier. – Vieux maraudeur, je ne fais pas l’important ; je suis l’important. (Se tournant vers le second.) Et toi, aussi misérable que ton compère, si tu me qualifies, une fois encore, ici ou ailleurs, aujourd’hui ou un autre temps, de hautain, mes hommes te couperont cette sale chair qui te sert de langue.

Le premier et le second, ensemble. – Ewoéé !

Les deux hommes se dévisagent de nouveau.

Le premier, au second. – Allons continuer notre travail ; les gens nous attendent au village.

Le Clerc. – Quel travail ?

Le second. – Ce ne sont pas tes affaires.

Le Clerc. – Qui te donne le droit de me tutoyer.

Les deux hommes rient.

Le premier. – Bon, nous cueillions tranquillement de beaux fruits avant votre arrivée. Nous avons faim.

Le Clerc. – De quel arbre ? Et qui vous a autorisés ?

Le premier. – Comment « de quel arbre ? » Pourquoi tu… eh vous parlez d’autorisation ?

Le second. – Tu es en train de tomber malade ? Il y a un seul arbre dans ce village. Et cet arbre appartient à tout le monde. On n’a jamais besoin d’autorisation de qui que ce soit pour profiter de ses fruits. On t’a fait quoi, et tu oublies tout ?

Le Clerc, avec un air menaçant. – Ecoutez, vieux parasites, ne faites pas l’idiot. Si vous avez volé quelques fruits de cet arbre, rendez-les. Si vous en avez déjà mangés, je ne sais pas comment ; mais vous les rendrez. Je suis désolé !

Le premier. – Ecoutez frangin, nous n’avons rien volé.

Le second. – Monsieur « l’important », nous ne rendrons rien.

Le premier. – Nous avons cueilli de l’arbre…

Le second. – Du village.

Le Clerc. – Vous venez d’avouer votre forfait, parfait !

Le premier et le second, ensemble, à voix basse. – Il est fou.

Le Clerc. – Que murmurez-vous ?

Le premier. – Rien d’important.

Le second. – Nous nous demandons si tu n’es pas fou.

Le Clerc. – Je me demande ce qui vous a poussés à avoir cette impertinence.

Le second. – De t’avoir traité de fou ?

Le Clerc. – Non ! Je parle de votre outrecuidance ?

Le premier. – Pardonne à la bouche de mon frère. Elle est comme cela ; sinon, lui-même respecte.

Le Clerc. – Je parle de vous deux.

Le premier. – Comment ? Moi, je ne vous ai rien dit de blessant. Je vous ai même traité de frangin.

Le second. – Pourquoi le vouvoies-tu ? Il n’y a que trois mois qu’il est riche.

Le Clerc. – Votre témérité est sans pardon.

Le second. – Va au diable !

Le premier. – Qu’est-ce-que vous nous voulez ?

Le Clerc. – Rendez les fruits et videz les lieux !

Le second. – On ne rendra rien ; et on ne videra pas les lieux.

Le premier. – Mais c’est l’arbre du village. Et nous sommes d’ici.

Le Clerc. –  Quel village ! Il n’y a jamais eu de village par ici.

Le second. – Nous avons raison de penser que tu es fou.

Le premier. – Si ! (Montrant le public.) Voilà les habitants du village qui nous regardent.

Le Clerc. – Des infecteurs.

Le premier. – Vous devenez mystérieux.

Le second. – Rien de cela ; c’est un mégalomane de saison présente.

Le Clerc. – Vous le prendrez à vos dépens.

Le second. – Ton costume et ta cravate te tournent la tête. (Il rit.) Quand le pauvre trouve l’or, il se pavane sur tous les toits.

Le premier. – Tais-toi ; tu vas l’énerver. (Se tournant vers le Clerc.) Chef, ne considérez pas ses propos. Le médecin du village lui a détecté la verbomanie.

Le Clerc. – Les fruits.

Le premier. – Ecoutez, je ne sais pas pourquoi vous voulez nous priver de nos fruits.

Le second. – C’est un sorcier !

Le premier. – Les villageois nous attendent. Ils doivent avoir faim ; surtout les plus jeunes.

Le Clerc. – Les fruits.

Le second. – Tu feras quoi si nous ne te les rendons pas ?

Le Clerc claque les doigts. Un monsieur fort musclé arrive.

 

Pas II

Le premier, se cachant derrière le second. – C’est bizarre. Je ne comprends rien. Pourtant c’est l’arbre du village.

Le second. – Tu peux claquer un milliard de fois pour sortir un milliard de tes gorilles, nous ne rendrons pas les fruits. Aujourd’hui, tu veux t’accaparer nos fruits. Demain, peut-être, tu nous défendras de cueillir de l’arbre du village. Après, tu refuseras à nos femmes de chercher les branches mortes de l’arbre du village. Et un jour, tu nous refuseras l’ombre de l’arbre du village. Je dis non ! Je refuse ! L’arbre est à nous tous. Va, enlève cet encombrant et prends la faucille.

Le Clerc. – Bien sûr, je vais cueillir ; mais, avant, je dois prendre ce que vous avez.

Le premier. – Pourquoi ?

Le Clerc. – Parce que c’est comme cela.

Le premier. – Nous pouvons cueillir d’autres ?

Le Clerc. – Non ! Vous n’avez plus accès à cet arbre à compter de ce jour.

Le second. – Je l’ai bien deviné, race d’amnésiques.

Le premier. – Mais…

Le Clerc. – « Mais » quoi ?

Le premier. – D’accord, là, vous serez chargé de la distribution.

Le Clerc. – Quelle distribution ?

Le Clerc claque de nouveau les doigts. Le Musclé fonce sur le second. Il le prend par le bras droit, le lui tord. Celui-ci fait une courte résistance. Il tombe à terre. Le Musclé lui arrache le panier et le donne au Clerc.

Le second, pleurnichant. –  Quelle brute ! Il a presque cassé mon poignet.

Le Musclé l’amène de force hors la scène.

 

Pas III

Le Clerc, au premier. –  Toi, tu es plus raisonnable ; rends les fruits.

Le premier. – Je vais les rendre ; mais ne pouvons-nous pas dialoguer ? (Il profite de l’inattention du Clerc pour lancer quelques fruits en direction du public.)

Le Clerc. – A propos de quoi ?

Le premier. – A propos de l’arbre du village.

Le Clerc. – Quoi ?

Le premier. – Quels fruits de l’arbre du village vous nous réservez ?

Le Clerc. – C’est qui vous ?

Le premier. – Les villageois du village.

Le Clerc. – Je n’en connais pas.

Le premier. – Je propose de nous laisser les papayes.

Le Clerc. – Non.

Le premier. – L’orange ?

Le Clerc. – Non.

Le Premier. – Le citron ?

Le Clerc. – Non.

Le Premier. – Quoi ?

Le Clerc. – Bon, comme tu insistes, je te laisse le jatropha.

Le Premier. – Quel jatropha ? Comment ? Mais, le Jatropha…

Le Clerc. – Je sais.

Le Premier, il lance encore quelques fruits en direction du public. –  Je disais que le jatropha….

Le Clerc. – Je disais que je le savais.

Le Premier. – Ce sont des hommes.

Le Clerc. – Je n’ai jamais dit qu’ils étaient des animaux.

Le Premier. – Donc ?

Le Clerc. – « Donc » quoi ?!

Le Premier, il lance quelques fruits en direction du public. Le Clerc le surprend. –  Ce n’est pas ce que vous croyez.

Le Clerc. – Ah bon ! (Il claque les doigts. Le premier court avec le panier. Il descend vers le public et distribue les fruits. L’homme musclé le pourchasse. Le public barre la voie à ce dernier. Le Premier vide son panier et se rend. L’homme le soulève sur son épaule gauche.)

Le Premier. – Ce n’est pas humain. Ce n’est pas ce que vous nous aviez dit il y a quelques mois.

Le Clerc. – Emmenez-le !

Le Premier. – Vous avez dit…

Le Clerc. – Qu’ai-je dit ?

Le Premier. – Que…

Le Clerc. – Ferme-la !

Ils sortent.

 

Fin