Dossier Serge Caschetto - Septembre 2019 Ecrit par Serge Caschetto

Catégorie: Interviews  /  Créé(e): 22.09.19 15:10:56  /  Modifié(e): 22.09.19 15:15:55

Questions du comité de lecture

 

On ne peut s’empêcher de demander si « Mon genou » est autobiographique, racontez-nous sa genèse ?

─  Flatté d’entendre que le texte soit ressenti comme autobiographique, cela suggère qu’il est crédible. Ou à tout le moins, qu’il sent le vrai. Mais j’ai peu de mérite. S’il est crédible, s’il sent le vrai, c’est par la force des choses. Au cours de 2000, je travaillais comme guide sous-marin en Égypte. Un soir, je roulais dans un taxi collectif, avec assise à côté de moi, une Égyptienne entièrement voilée. D’un coup, sans aucune raison apparente, elle s’est mise à me malaxer le genou, en silence, regard fixé droit devant elle. Et son geste était assurément volontaire. Finalement rien ne s’est passé, elle est simplement descendue, accompagnée de deux hommes... Avouez que c’est assez étonnant. D’ailleurs, je n’ai toujours pas compris la motivation de cette femme. L’idée m’est alors venue de tirer parti de ce geste inattendu pour transmettre ma conviction que nous, habitants de la sphère occidentale, nous nous sommes historiquement positionnés du côté du manche du couteau en forçant les nations du Tiers-Monde à se cantonner du côté de la lame. Parallèlement, nous naviguons béatement dans un douillet océan d’hédonisme, d’insouciance et de consumérisme, sans trouver le temps d’ouvrir les yeux sur les tensions et le désespoir qui fermentent dans le Tiers-Monde. C’est dans ces réflexions que je me suis efforcé d’inviter le lecteur à entrer.

Ce texte exprime un fossé entre les réalités des uns et des autres. Réside-t-il selon vous une forme de déni ou d’inconscience des individus nés du bon côté du monde ?

─ Votre question me ravit, car c’est très exactement l’essentiel de ce que j’ai voulu faire passer à travers « Mon genou ». Le déni est bien là, mais il est à sens unique, il est le fait de nous seuls, les Occidentaux. Il engage notre responsabilité morale puisque nous disposons d’un confort de vie et de ressources qui nous mettent en position de savoir et d’analyser ce qui ce passe dans le Tiers -Monde. Les laissés pour compte, eux, ont par la force des choses les yeux grand ouverts sur les inégalités et les obstacles à un changement positif de leurs conditions de vie. Cette dyssimétrie est à mon sens un facteur déterminant de conflit. Rares sont ceux d’entre nous qui osent mesurer l’étendue de la fracture socio-économique et culturelle qui nous sépare, ni le danger global de fragmentation que peuvent générer les tensions et les frustrations propres au Tiers-Monde. Relater la mise en œuvre d’un acte terroriste, de facture plutôt « artisanale », comme l’autre face de la réalité récréative et hédonique dans laquelle baigne béatement notre jeune guide de plongée m’a semblé un bon moyen de donner à réfléchir sur la problématique sociétale évoquée plus haut. J’ai aussi voulu rappeler que les populations des pays musulmans sont les premières victimes du terrorisme et que les artisans de ce dernier ne sont probablement pas tous des volontaires enthousiastes. Comme dans toutes les situations de chaos et de guerre, les civiles sont broyés par les groupes armés de tous bords.

Actuellement des mesures sont prises par de plus en plus de destinations de vacances pour limiter ce que l’on nomme l’invasion touristique, qu’en pensez-vous ?

─ Que du bien ! ... en principe. Le tourisme de masse a fait renaître le déferlement des hordes barbares. Des troupeaux de la middle class mondiale dégoulinent désormais sans répit de leurs toundras, de leurs mégalopoles ou de leurs steppes pour aller engorger une poignée de sites magnifiques partout à travers le monde. Impossible désormais de visiter quelque site renommé que ce soit sans être ennoyé dans une marée de vulgarité insupportable faite de zombies gloussant comme des sots en se faisant des selfies, mais ne jetant pas un regard sur ce qui les entoure. Alors, oui, il est temps, limitons le déferlement touristique. Cela dit, les autorités prennent toujours des mesures visant à contingenter le tourisme de masse, de sorte que les touristes nantis, eux, ne resteront pas pris dans la nasse. Cependant, qui a le droit de favoriser le tourisme élitiste au détriment du tourisme de masse, et vice versa ? En attendant une solution socialement équitable, je suis partisan du contingentement dans tout lieu où les touristes irrespectueux pourrissent la vie des locaux, comme à Venise, Barcelone et Dubrovnik.

Vous adonnez-vous à l’écriture d’autres genres littéraires et quels sont-ils ?

─ Comme tous les rêveurs, j’ai plongé un doigt dans des tentatives de poésie. Mais je crains que la Fée du rythme et de la rime ait oublié de poser son doigt sur mon front.

Quelles sont vous sources d’inspiration ?

─ La vie, la vie qui bouge, celle vécue par qui se rappelle qu’il a un cœur et un cerveau. Et aussi, bien évidemment, la production des auteurs en général, celle des auteurs de livres, de films, de pièces de théâtre, de séries, de tableaux... Et encore, je m’inspire des hauts faits des explorateurs de l’impossible, des navigateurs solitaires aux alpinistes de haut vol en passant par les chercheurs en physique quantique. Et pour faire juste mesure, du courage des résistants aux tyrannies, ceux de la guerre d’Espagne en particulier. Et enfin, pour pouvoir rester les pieds bien posés au sol, nez au vent et cœur ouvert, mon inspiration s’exalte au son des rires des enfants, qui portent l’espoir délicieux d’un monde riant où tous seraient rieurs.

Quelle(s) musique(s) accompagnerai(en)t le mieux vo(tre)s texte(s)?

─ « Allah Allah » par Hakim, célèbre chanteur égyptien de Jeel https://www.youtube.com/watch?v=TSXg5pOuH6c

 

Les questions de la Revue des Citoyens des Lettres et celles chipées à Proust et Pivot

 

Quelle est votre drogue préférée ?

─ Voler dans un silence feutré au sein des masses d’eau marines à la rencontre des hidalgos des océans, mantas, espadons voiliers, dauphins et requins-baleines, l’opium du plongeur sous -marin.

Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous l'entendre vous dire après votre mort ?

─ « Tu sais, je vais fermer ma succursale du Vatican, définitivement. ». Mais je serais davantage heureux s’il me le disait tout de suite.

Qui est votre homme politique préféré ?

─ Celui qui n’est pas encore né.

Quel est votre principal défaut ?

─ Voir le monde comme j’aimerais qu’il soit.

Quel est votre juron préféré ?

─ Porco Dio ! (même si je ne pense pas qu’il le soit, ne serait-ce que parce qu’il n’est pas.)

Et, pardonnez-moi, même si vous ne me posez pas la question, je vous le dis tout de même :

─ Mon poète préféré, c’est Bob Dylan.