Dossier Joël Amah Ajavon - Septembre 2018 Ecrit par Joël Amah Ajavon

Catégorie: Interviews  /  Créé(e): 31.08.18 18:10:00  /  Modifié(e): 15.09.18 18:33:26

Interview

 

Dada est une femme qui par un tragique et néanmoins sensuel rituel implore le retour de son amant. Comment travaillez-vous pour habiter un personnage féminin de manière si profonde ?

Ecrire un monologue avec un personnage féminin pour "un" auteur est une prise de parole ou une parole donnée qui nécessite de l'effacement mais surtout beaucoup d'ouverture.  Pour moi, tout part du personnage. Il est l'élément central de la pièce. C'est de sa composition que découleront l'histoire, la situation dramatique, les actions et la parole. Ce qui me passionne le plus dans l'écriture théâtrale, c'est l''intérieur du personnage. Pour parvenir à faire de cette intériorité une réalité, il faut lui construire une identité et un environnement puis établir une relation d'intimité entre soi et cet être imaginaire qu'on donne à être réel par la magie du théâtre. J'appécie particulièrement cette phase d'écriture préalable à la parole. C'est elle qui décide de l'architecture de la pièce et impulse l'élan de l'énonciation. 

Pour aborder Dada, seul personnage en scène dans Drapée du Thé, je me suis donc livré à cet exercice. Je suis parti d'une histoire réélle du XIX ème siècle, celle de Lamartine et de Julie Charles.  Mais au-delà de Julie Charles, j'ai eu une pensée pour ces muses silencieuses. Je pense à Jeanne Duval, à Elvire, à Hélène de Surgères, etc. Si Elvire était en vie et que ce fut Lamartine qui manquait à la rencontre du Lac, de quels vers seraient faits "Le Lac".  

Mais Dada, pour moi, est une femme d'aujourd'hui. Il faut lui donner de la contenance et un vécu en lien avec cette époque et l'ancrer dans un contexte social. Cet arrimage à une société m'a paru nécessaire parce qu'elle contribue à atteindre une part de vérité. Le théâtre selon moi ne peut toucher que lorsqu'il donne à vivre cette part de vérité. 

Le personnage de Dada a été façonné dans le moule de la société togolaise, celle qui m'est la plus familière et dans laquelle j'ai grandi. Cette proximité avec le personnage et son environnement social me permet de mettre en place des codes qui ont à la base un sens donné mais qui peuvent bien entendu faire l'objet de diverses interprétations et s'ouvrir. Il y a par exemple chez elle et dans la pièce une ritualisation de "repas". Donner de la place à la cuisine, c'est mettre Dada dans un espace de préminence où elle est prêtresse.

 

La fin laisse peu d'espoir au retour de l'amant. Quel est votre regard face à ces amours dits impossibles ? En guérit-on jamais ?

Les amours possibles sont prévisibles et de mon goût quelque peu fades, sans prise de risque, surtout au théâtre. Il n'y a pas grand intérêt à se pencher là-dessus. Le théâtre adore baigner dans les eaux troubles, loin de la quiétude et d'un bonheur trouvé. L'amour impossible est un thème courant au théâtre, la tragédie classique en a même fait son principal sujet.

Drapée du thé est dans le sillage de la tragédie. On peut même s'amuser à parler de tragédie contemporaine. L'amour, ici, est montré comme un sentiment dévastateur qui prend possession du personnage menant à des dérives dans le langage corporel et verbal. La crise passionnelle dans la tragédie classique est nourie par l'impossibilité de la relation. Phèdre aime Hippolyte qui lui aime Aricie. Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui à son tour aime Hector, mort à la guerre. S'ensuit une défiance du personnage à l'égard de la convenance voire de la raison. Il plane une sorte de fatalité amoureuse qui rend le happy end impossible mais qui alimente l'intrigue et multiplie les obstacles. D'ailleurs, c'est ce glissement du personnages vers l'irrationalité qui renforce le conflit. Peut-on guérir d'un mal passionnel? 

 

Qu'est-ce qui a déclenché l'inspiration de ce texte ?

Lamartine. Je suis un grand admirateur de la poésie romantique et de la littérature du XIXe siècle en général. Si pour moi, Baudelaire est la source, j'ai toujours été séduit par Les méditations poétiques et particulièrement "Le Lac". Le lac du Bourget, lieu de la rencontre entre Lamartine et Julie Charles, la magie d'une rencontre et le rendez-vous manqué. J'ai donc bien voulu donner suite à cette histoire, en ne donnant plus la parole à Lamartine mais d'une certaine façon à Julie Charles (Elvire). Cependant Dada n'est pas Elvire. 

 

Ce texte théâtral propose un rôle magnifique pour une comédienne. Avez-vous le projet de le mettre en scène ?

J'avais un projet qui n'a pas abouti parce que je ne réside plus au Togo. Mon projet de mise en scène était plutôt porté sur une danseuse pour donner autant la parole au corps qu'à la voix avec un dispositif scénographique qui offre à voir et à sentir. C'est un petit rêve qui ne me quitte pas. 

 

Dans quels autres styles aimez-vous écrire ?

Le théâtre est pour moi avant tout un espace ludique. J'aime surtout l'écriture comique. La plupart de mes textes sont dans ce registre.  Mais je fuis l'enfermement.

 

Quelle(s) musique(s) accompagnerai(en)t le mieux vo(tre)s texte(s)?

 

La kora est à mon avis la musique qui accompagnerait le mieux le texte. Les didascalies le suggèrent d'ailleurs.

 

Questionnaire de Pivot

 

Votre drogue favorite ?

Le café.

 

Le métier que vous n'auriez pas aimé faire ?

Avocat ( Juriste).

 

Votre juron, gros mot ou blasphème favori ?

Putain.

 

Le son, le bruit que vous aimez ?

Le bruit de la mer.

 

Homme ou femme pour illustrer un nouveau billet de banque ?

Tavio Amorin.