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Sur le bord du chemin détrempé,
un bon rocher moussu à sa portée.
Il tape son talon gauche dessus,
un premier pied bien calé au fond.
Il lace la chaussure bien serrée.
Il tape son talon droit dessus,
un second pied bien calé au fond.
Il lace la chaussure bien serrée.
Arthur secoue légèrement son sac à dos.
Le voilà de nouveau bien calé aussi.
Et voici : il est parti.
Au revoir, bon rocher moussu.
 

 

 

L’important n’est pas la destination,
mais le chemin.
Cette maxime le poursuit depuis des mois,
non sans raison,
mais bien en vain.
Il aimerait tellement avoir une destination.
Juste une.
Même tout près de sa maison.
Mais non.
Il n’en trouve pas.
Il ne sait pas lire les cartes.
Alors il est parti sans.
 
Il va essayer le chemin qui n’a pas de destination.
C’est une forêt.
Un palais.
En colonnades végétalisées.
 
Il ne pleut plus,
mais les dernières heures d’ondée
dégouttent du ciel arboré.
Il pleut seulement ici.
Pour lui.
Et c’est le seul bruit.
Pas un frémissement de feuille.
Pas un oiseau qui piaille.
Où est passé le monde ?
Arthur est seul avec sa seconde pluie.
Il n’entend que ses chaussures
qui font gémir l’épais tapis d’automne.
Il ne sent que ses chaussures
qui exhalent la terre imbibée à chaque enjambée.
Surpris par un dérapage sur une racine
enfouie sous le tapis,
il se rattrape à un tronc ami.
C’est ici. Peut-être.
Il s’assoit sur la racine apprivoisée.
Une petite pause méritée.
Ses fesses sont trempées.
La seconde pluie dégouline sur ses joues.
L’écorce écorche.
Contre le tronc se love son dos.
 
Dans ses yeux se couchent les rameaux.
Pensées en errance.
 
Arthur reprend son chemin sans destination.
Gros bouillons.
Il se tient devant le lit d’une rivière.
Des bulles se forment sous un dénivellement de pierres.
Une chansonnette de frétillements amusés.
Les rivières bullent-elles toujours après la pluie ?
Traversée de rocher en rocher.
Attention à ne pas tomber.
Pensées ainsi concentrées, à peine enjouées.
Retour en enfance, tour de funambule,
les bras qui décollent, les chaussures qui collent.
Il saute dans la première flaque de l’autre côté.
Gerbes boueuses, pantalon constellé.
Le pas est désormais guilleret.
 
Tout d’un coup, Arthur reconnaît son bon rocher moussu.
Bouclé. Éperdu et perdu.
Reste planté devant.
La destination ? Vraiment ?
Il décide de s’asseoir dessus.
Ses fesses en sont moussues.
Le froid humide s’y insinue.
Jusqu’à l’os.
Son squelette se raidit, s’empierre.
Sa chair se tétanise de froid.
Il n’ose plus bouger, d’effroi.
 
Cela lui remonte l’échine jusqu’à la nuque.
Dans un frisson atteint le front.
Cellules pétrifiées.
Cerveau solidifié en lac gelé.
Âme immobilisée.
À pierre fendre.
Quelques-uns de ses neurones, sans doute les plus délurés,
font du patin à glace sur le lac.
Quelques saltos et de jolies arabesques.
La seconde pluie lui traverse le crâne,
commence à former des stalagmites sur la surface glacée.
Les neurones slaloment autour,
tracent à la lame les contours.
Le lac est tout dessiné, voluté, velouté, décoré.
Arthur ne sait plus quoi penser.
Que lui est-il donc arrivé cette année ?
 
Dans sa poitrine, une pointe chaude.
Une pulsation le taraude.
Ventricules, oreillettes, valves, artères.
Arthur découvre l’anatomie de son cœur.
Sent le flux et le reflux dans ses veines,
perçoit sous le froid le mouvement de sa peau qui bat.
Comme c’est étonnant, cette vie qui ne demande pas.
Mais vraiment, que fait-il donc là ?
On dirait un troupeau de chevaux blancs
en pleine course dans le vent,
lâché dans son ventre.
Les sabots le narguent.
De poitrail à tripaille.
Il les connaît. Oui, il en est sûr, il les reconnaît.
Ce sont toutes celles et ceux qui lui ont dit :
L’important n’est pas la destination,
mais le chemin.
Que font-ils tous à ruer dans son pouls ?
Que hennissent-ils au creux de son cou ?
 
Arthur retire très lentement ses mains du bon rocher moussu.
Lève ses coudes au ralenti.
Pose ses paumes sur son torse.
Remonte jusqu’à ses oreilles.
Ses tempes en sont moussues elles aussi.
Réflexe contre le bruit.
Mais il entend de plus belle.
Il surprend son vacarme intérieur.
Un son grave, pulsatile, puissant,
apaisant.
Et par-dessus : le va-et-vient de son souffle,
le vent, son propre vent.
Il en accentue l’intensité, la lenteur,
en fait varier la profondeur.
Arthur observe en grand le paysage.
Le lac, les arbres transis de givre tout autour,
le vent qui mugit, balaie le grésil en serpentins.
Le vent chante, enveloppe, porte.
C’est Arthur qui chante.
La vibration réchauffe sa gorge,
envahit ses poumons,
descend jusqu’à l’estomac,
par ses paupières closes dégorge.
Les chevaux se calment.
L’œil noir aux longs cils s’adoucit.
Les naseaux ne soufflent plus.
Les sabots quadruplés trottent gentiment vers l’orée,
puis disparaissent sans reste, au loin élargi.
Le paysage est dépeuplé et silencieux.
Alors soudain, que reste-t-il d’Arthur ?
Une étoile qui pulse et un vent qui embrasse.
Une émotion cosmique.
Il faut du vide pour dégager le plein,
du silence pour écouter le chant du matin.
La surface du lac se fendille, chaos de plaques,
tectonique aquatique.
L’eau reprend sa liberté.
Âme réincarnée.
Pierre éclatée.
 
Il n’y a pas de destination,
pas même de chemin.
Il n’y a qu’un paysage à observer.
Du regard faire vibrer.
De poésie habiter.
À cœur défendre.